
Renouons ce soir avec l’exercice – aussi sérieux que gentiment idiot – de la playlist thématique que j’ai délaissé depuis déjà quelque temps. J’ai eu envie d’une sélection de dix titres à croquer, autour de la thématique de la boulangerie : il sera donc question de viennoiseries, de farine, de cuisson et de pâte. Une lubie, peut-être lié à un grand-père boulanger, mais une lubie qui je l’espère saura vous rassasier ou vous ouvrir l’appétit.
1. Clem Snide Bread (2000, Your favorite music)
Sur ce morceau à la langueur somnolente, ce trio originaire de Boston mais basé à New York identifie la chaleur de l’édredon à celle du pain chaud et nous pousse à tirer la couette sur nos épaules, bien blotti dans ce cocon tout de tiède atonie. Cette monotonie enveloppe, cette torpeur ankylose, entre réconfort et peur du dehors.
2. Alfoncy & Bethenea Harris feat. Blind Willie McTell This is not the stove to brown your bread (1927, Teasing Brown – single)
C’est surtout la présence du légendaire guitariste de blues Blind Willie McTell qui est soulignée ici mais l’ensemble vaut le détour, duo joliment vache entre un homme et une femme, en l’occurrence Alfoncy & Bethenea Harris. Un blues qui dérive le brin d’herbe à la bouche, bucolique et malin, solaire et paresseux. On en reprendra une petite part.
3. The Frank & Walters Bake us a song (1993, Trains boats and planes)
Sans doute pas le meilleur morceau du second album de ces sympathiques Irlandais, ce Bake us a song a en lui une bonne partie des ingrédients qui fera le charme du groupe : des guitares carillonnantes, un sens de la mélodie accrocheuse et la voix de Paul Linehan, brûlante de sincérité et d’humilité et qui préserve autant que possible le combo de dérives trop emphatiques.
4. The Auteurs Chinese bakery (1994, Now I’m a cowboy)
Après les gentils Irlandais, on retrouve le teigneux Anglais, le remarquable Luke Haines avec cet extrait tout en nerfs extrait du second album des Auteurs. Les guitares claquent et la voix de Haines semble toujours débordée de rage larvée. Un pain acide.
5. Silvain Vanot La même farine (1995, Sur des arbres)
Le trop méconnu Silvain Vanot nous séduisait il y a déjà près de 20 ans avec son folk lettré de bois vert et d’échardes. Une guitare acoustique et quelques cordes suffisait à Vanot pour habiller la mélancolie de ce splendide morceau : « J’aimerais savoir si nous sommes faits de la même farine toi et moi / Si nous avons le même goût pour les mêmes humeurs chagrines, et pourquoi ».
6. Claude Nougaro Les mains d’une femme dans la farine (1966, Claude Nougaro)
Alors qu’on célèbre le dixième anniversaire de la mort du petit taureau toulousain, cette playlist boulangère profitera du swing du bonhomme pour faire monter la pâte. Une bonne dose de levure stylée et élégante, une pointe de chaleur rocailleuse, bref, du bon pain rustique qui craque sous la dent et fond sous la langue.
7. Christophe Du pain et du laurier (1973, Les paradis perdus)
Les Français se taillent la part du lion dans cette sélection, nous ne sommes pas pour rien le pays du pain. L’OVNI Christophe livre ici un morceau de rythm’and’blues à sa sauce géniale, onirique et décalée, brillante et mystérieuse. Mine de rien, le bonhomme pare les Rolling Stones des débuts d’une sophistication noctambule et parvient à en tirer ce petit bijou bien moins simple qu’il n’y paraît. Du grand art, comme toujours (comme souvent) avec M. Bevilacqua.
8. Joe Dassin Le petit pain au chocolat (1968)
Celle-là était difficilement contournable et à vrai dire, on n’a pas vraiment cherché à la contourner. Car sous la naphtaline made in Maritie et Gilbert Carpentier, Joe Dassin a ce petit je-ne-sais-quoi de charmant et de charmeur, cette façon de ne pas se prendre au sérieux et de trousser le sourire aux lèvres des mélodies à siffloter qui rendent simplement gai l’espace de 3 minutes. Ici, il fait entrer un souffle de folk-rock dégingandé dans le paysage trop souvent renfermé de la variété française de l’époque et le « ya ya ya yaï » de cette bluette reste aussi accrocheur que le « zaï zaï zaï » de Siffler sur la colline.
9. Iron & Wine Bird stealing bread (2002, The creek drank the cradle)
On change radicalement de registre avec ce morceau de country-folk murmuré des remarquables Iron & Wine, instrument du dénommé Samuel Beam. Une chanson qui s’écoute comme on regarderait les nuages couché dans une prairie, une steel-guitar lumineuse les poussant dans le ciel de son souffle délicat. Un petit bonheur.
10. Kevin Ayers Eleanor’s cake (which ate her) (1969, Joy of a toy)
Je ne connais que très peu la discographie du regretté Kevin Ayers, disparu l’an dernier, mais cette petite perle lunaire me donne envie d’en connaître plus. Comme un Nick Drake qui n’aurait pas approché de trop près la face cachée de la lune, Ayers cuisine ici un space-cake flou et flottant, qui ondule et ondoie comme un ruisseau au clair des étoiles. Une sucrerie idéale pour s’alléger en fin de playlist et s’endormir l’esprit rempli de jolis rêves.