Zone de confort
Cat Power The greatest (2006, Matador)
Après la parution de son merveilleux You are free (2003), qui s’inscrivait dans une impressionnante série de chefs-d’œuvre l’ayant portée haut dans mon Panthéon personnel, Cat Power entreprit pour son disque suivant de rebattre les cartes noires de sa musique et de rhabiller la nudité qui nous rendait pourtant ses chansons si viscérales.Pour donner suite à un album au dépouillement intense éclatant comme un soleil d’hiver, Chan Marshall allait décider de quitter les clairières désolées et la solitude de You are free pour se glisser dans un environnement autrement plus confortable et chaleureux. La jeune femme s’en alla ainsi enregistrer ses nouvelles compositions à Memphis, accompagné d’une escouade de vétérans ayant fait rutiler leurs instruments aux côtés de quelques unes des plus grandes légendes de la soul sudiste (Al Green ou Aretha Franklin), délaissant ainsi son intérieur de bois brut pour habiter un pavillon autrement plus douillet.
Once I wanted to be the greatest / No wind of waterfall could stall me / And then came the rush of the flood / Stars of night turned deep to dust
The greatest
Aux côtés de ce Memphis Rhythm Band d’excellence, Chan Marshall revêt les habits neufs d’une diva soul. Ses chansons se parent d’arrangements plus opulents (cordes, cuivres et claviers) et prennent une patine inédite. Le son se fait plus chaud et le chant de Cat Power apparaît caressant comme jamais, dévoilant des atours sexy qu’on ne lui avaient jamais vraiment connus. Sur ses précédents albums, la jeune femme arpentait des territoires arides, des collines pelées d’où on pouvait entendre l’orage gronder au loin. Ces paysages d’apparence inhospitalière étaient devenus les plus beaux refuges de nos solitudes, les plus doux asiles de nos fêlures. A Memphis, c’est comme si la jeune femme reprenait contact avec le monde sans céder à la paranoïa. On est heureux de la voir visiblement plus confiante, occupant l’atmosphère avec une assurance nouvelle. En même temps, on ne peut s’empêcher de déplorer la perte de cette intimité que Cat Power avait su si souvent créer autour de nous. On a longtemps chéri Chan Marshall pour sa façon de nous donner l’impression de chanter seulement pour nous, comme si sa musique soufflait une bulle consolatrice dans laquelle on pouvait se dispenser de retenir nos larmes. Ici, Cat Power chante pour tout le monde et même si elle chante formidablement bien, si certaines chansons sont somptueuses, on se sent un poil orphelin et on en ressent une pointe de culpabilité.
There’s nothing like living in a bottle / And nothing like ending it all for the world / We’re so glad you will come back / Every living lion will lay in your lap
Lived in bars
Malgré ces préventions, il faut bien reconnaître que l’album s’ouvre en majesté. The greatest, la chanson, s’impose avec l’évidence d’un monument, avec cette houle de cordes qui semble soulever Cat Power de terre pour la porter haut au-dessus de nous. Classique instantané, ce morceau faisait naître d’immenses promesses qui ne seront que partiellement tenues. Living proof qui s’ensuit possède un vrai charme mutin et c’est assez plaisant de voir Marshall minauder au creux d’un écrin musical flambant. Sur Lived in bars, Cat Power – outre qu’elle évoque assez clairement ses penchants alcooliques – endosse avec une classe folle la parure d’une chanteuse de bar enfumé avant que le morceau ne se mette à bizarrement frétiller, de drôles de chœurs un brin déphasés apparaissant en fond de scène. Après ces trois titres d’entame, le disque entre malheureusement dans une sorte de routine, pas désagréable mais qui peine à réellement décoller et du coup à nous emporter véritablement. Tout cela est bien exécuté, bien chanté mais les angles et les aspérités de la musique de Cat Power semblent avoir été poncés avec un peu trop d’ardeur. Empty shell, Willie ou Islands s’écoutent sans déplaisir mais sans flamme. Chan Marshall est cependant suffisamment talentueuse pour redresser la barre avant la fin du disque. Outre la beauté étale et étoilée de The moon (qui m’évoque quelques-unes des ballades douces-amères de Eels), c’est quand la jeune femme revient à davantage de dénuement qu’elle impressionne de nouveau, avec un Hate à la guitare râpeuse qui caresse enfin à rebrousse-poils et aurait trouvé sa place sans problème sur You are free ou Moon pix. Mais c’est avec le Love and communication final que Cat Power remet les pendules à l’heure, amenant cette fois sur son terrain les musiciens qui l’escortent : le morceau avance avec une souplesse inquiète et dégage en se consumant une sensualité tellurique d’un fort bel effet, permettant de conclure le disque sur une très belle note.
Do you believe she said that / Do you believe she said that / I said I hate myself and I want to die (Hate)
Hate
Comme on pouvait s’y attendre, ce disque plus lisse mais aussi plus accessible offrit à Cat Power une reconnaissance publique grandissante et ses chansons – moins abrasives – gagnèrent une diffusion plus large. On ouvrit ainsi grands les yeux en apprenant que la jeune femme devint pendant quelque temps l’égérie de Chanel. Cette opération de lissage atteindra malheureusement des proportions plus gênantes avec l’album suivant, Jukebox. Après une période plus trouble et une mise en retrait de quelques années, on était en tous cas ravi de retrouver Chan Marshall en grande forme artistique cette année avec The wanderer.
1 réponse
[…] beaucoup un brin décontenancé par le virage « diva soul » pris par Chan Marshall après The greatest (2006), le tout dernier album de la miss a montré qu’elle demeurait une figure toujours […]