La grande dépression
Kanye West 808s and heartbreak (2008, Roc-a-Fella)
Kanye West ne représentait pas grand chose à mes yeux jusqu’à cet album. J’aime bien le rap – et certaines de mes notes publiées ici peuvent le démontrer – mais sans en être un spécialiste ou sans en suivre l’actualité de près. J’étais donc passé assez largement à côté des productions du Chicagoan, écoutant un morceau par-ci par-là ou lisant quelques critiques souvent laudatives, mais j’aurais par exemple été bien incapable de le reconnaître sur une photo ou de citer un seul titre de chanson. Malgré son statut de superstar que lui conféraient ses nombreuses productions et sa triplette d’albums (The college dropout, Late registration et Graduation) , je ne connaissais pour ainsi dire rien de West.
Et puis j’ai posé une oreille sur ce disque et j’en suis revenu tout chamboulé. Composé suite au décès de sa mère et après une rupture sentimentale apparemment difficile, 808s and heartbreak est un disque bouleversant. Un bref survol des commentaires ayant fleuri sur le Net à propos de cet album m’a pourtant révélé combien ce disque avait pu susciter de perplexité chez les fans du rappeur. Il faut dire que Kanye West emprunte ici une voie particulièrement casse-gueule. Le rappeur flamboyant et producteur à succès expose sans pudeur ses blessures et son cœur brisé, choisissant de surcroît d’utiliser de bout en bout l’auto-tune, ce dispositif transformant la voix un peu à la manière d’un vocoder. En retour, le rappeur s’exposait donc aux critiques virulentes sur cette option ainsi qu’aux railleries de ceux moquant les pauvres petits bobos d’un privilégié.
Critiques sans fondement à mes yeux. Le recours à l’auto-tune colle parfaitement à l’ambiance générale du disque. Entre beats minimalistes et nappes de synthés, les douze morceaux semblent comme pris dans la glace, transis et gourds. L’album s’ouvre sur un ténébreux Say you will suintant la mélancolie par tous ses pores. S’ensuit Welcome to heartbreak, poignante remise en question intime menée par le licou par une phrase de clavier minimale. Avec Heartless, Kanye West entame son règlement de comptes post-rupture, mais même ses rodomontades (“You’ll never find nobody better than me”) sont imbibées de douleur. Le disque se poursuit avec le tendu Amazing (même si un peu théâtral) avant la drôle de transe malade de Love lockdown, percutée de rythmes africanisants. L’anodin Paranoid marque une pause avant le formidable tiercé Robocop, Street lights (qui m’évoque carrément les errances nocturnes grandioses des fantastiques Blue Nile) et Bad news, morceau proprement bouleversant sur lequel West se montre à terre et sans fard. Le final du disque est plus anecdotique mais ne suffit pas à faire baisser le niveau de l’ensemble.
Avec cet album, Kanye West signe un grand disque malade et dépressif.
1 réponse
[…] une santé mentale que l’on sait précaire. Dans la lignée de son chef-d’œuvre dépressif 808s and heartbreak, on retrouve sur Blame game un Kanye West entouré de papillons bleus, mais le morceau se distingue […]