La féline
Cat Power What would the community think (1996, Matador)
Fille d’un musicien de blues, la petite Chan Marshall vit une enfance plutôt agitée, marquée par les fréquents déménagements de sa mère et de son beau-père à travers les États-Unis. A l’âge de 16 ans, elle coupe les ponts avec sa génitrice pour vivre brièvement avec son père avant de s’installer à Atlanta où elle forme avec un groupe d’amis la première mouture de Cat Power, à l’origine nom d’un groupe qui deviendra assez vite son nom de scène à elle. A 20 ans, Chan Marshall part s’installer à New York et commence à faire sa place dans la scène musicale bouillonnante de la cité. Elle est remarquée en première partie de Liz Phair par Steve Shelley, batteur de Sonic Youth et le guitariste Tim Foljahn qui décident de l’aider à enregistrer sa musique.
Oh to be at the bottom of the river / Below the dark water / The devil all around
Water & air
Cat Power rentre donc en studio dont elle ressort une première fois avec une série de chansons qui donneront naissance à deux albums qui paraîtront en 1995 et 1996, les sauvages et frustes (mais déjà fort recommandables) Dear Sir et Myra Lee. Mais c’est bien avec ce What would the community think que Cat Power allait se révéler au monde, accompagnée de Steve Shelley et de Tim Foljahn. La jeune femme livre ici douze titres dénotant une personnalité impressionnante et visiblement à vif. Il s’avère ainsi difficile d’écouter sans trembler ces morceaux inconfortables, écorchés, grattés à même le nerf par une musicienne exposant à la face de l’auditeur de vertigineuses crevasses intimes.
Would I be in your novel ? / Will I begin and end in it
King rides by
Tout du long de ces chansons obsessives et obsédantes, Chan Marshall semble frotter ses plaies au papier de verre, naviguant entre colère sourde et dépression, entre lacs étales et coups de tabac. Si Cat Power va puiser aux eaux des musiques américaines les plus emblématiques (folk, blues, country), elle en tire une sève noire et brûlante révélant autant ses propres fêlures que dévoilant les nôtres. En creusant son cœur comme on creuse un sillon, en râpant ses doigts sur les cordes de sa guitare comme on s’acharnerait sur les barreaux d’une cage, Cat Power livre un disque pétrifiant, qui agrippe l’auditeur par le colbac comme il bannit la tiédeur, tant Chan Marshall semble loin de toute interprétation, chantant comme elle ressent, chantant comme elle pleure, chantant comme elle vibre.
Maybe if I pray to the Lord above / I’ll get some sleep / But the Lord don’t give a shit about me
They tell me
Cette force émotionnelle se retrouve ainsi sur l’incroyable Nude as the news, dont le souffle rageur balaye tout sur son passage et qui demeure encore après des centaines d’écoute un titre d’une puissance rare. La colère se fait plus rentrée mais pas moins imposante sur des titres comme Good clean fun, Enough ou le fantastique The coat is always on. Et quand les accès de rage sont passés, reste la cendre (They tell me) ou la désolation (Water & air). Mais il serait faux de ne voir en Cat Power qu’une prêtresse du malheur, et les splendides Taking people et King rides by, ballades country de haut vol en sont la preuve éclatante. On signalera également sa réinterprétation de l’immense Bathysphere de Smog, parsemée de bips électroniques et qui, si elle n’atteint pas les sommets de l’original, démontre la faculté de Chan Marshall à s’approprier les chansons des autres.
Father said he’s gonna give me something / He gave me hate (The coat is always on)
What would the community think nous révélait une voix qui allait nous devenir très précieuse, quelques uns des disques suivants de Cat Power se tenant en bonne place dans notre petit Panthéon musical intime, notamment Moon pix (1998) ou You are free (2003). Et si l’on fut comme beaucoup un brin décontenancé par le virage “diva soul” pris par Chan Marshall après The greatest (2006), le tout dernier album de la miss a montré qu’elle demeurait une figure toujours attachante.
1 réponse
[…] découverte de Chan Marshall (alias Cat Power) avec son brûlant What would the community think de 1996 avait déjà passablement secoué nos oreilles ébahies, l’urgence sauvage de ces […]