Il était une fois en Amérique
Elton John Tumbleweed connection (1970, Island / Universal)
A bien y réfléchir, Elton John a toujours fait partie de mon paysage depuis mes 8 ans et, alors que je l’avais enfermé à la cave pendant des années, voici que l’excentrique Anglais est ressorti avec brio depuis quelques mois du purgatoire dans lequel je le tenais. I’m still standing (en 1983) fût un des trois ou quatre premiers 45 tours qui m’aient été offerts puis, au fur et à mesure que je grandissais, j’ai vu ce drôle de type replet arborant des couvre-chefs et des lunettes complètement saugrenus aligner les tubes avec une régularité de métronome (Nikita, Sacrifice, The one…), tubes qui m’apparaissaient de plus en plus ennuyeux au fil des ans. Alors que je commençais à m’intéresser vraiment au rock et à la pop, c’est peu dire que les vocalises du bonhomme entonnées pour accompagner la BO du Roi Lion ou les funérailles de Lady Di semblaient à mes yeux le comble du pénible. Quelques critiques appréciés laissaient bien entendre à l’occasion que Sir Elton avait pu autrefois briller, j’avais pour ma part d’autres chats à fouetter. La première étincelle vint de la série Six feet under qui fit rutiler à mes oreilles la mélancolie aérienne de Rocket man. Puis, ce fût il y a quelques années la lecture d’une série de billets consacrés au bonhomme par l’impeccable François Gorin dans ses formidables Disques rayés. L’écoute des morceaux accompagnant ceux portant sur Tumbleweed connection attira suffisamment mon attention pour que ce disque long en bouche finisse par s’incruster durablement dans mon environnement sonore.
Well I don’t know if I should have heard her as yet / But a true love like hers is a hard love to get / And I’ve walked most all the way and I ain’t heard her call / And I’m getting to thinking if she’s coming at all
Come down in time
Au début de l’année 1970, Elton John et son inséparable acolyte et parolier, Bernie Taupin, n’attendent même pas la sortie de leur deuxième album, Elton John (qui paraîtra en avril) pour entrer aux studios Trident de Londres. Les deux compères ont les idées assez claires sur la tonalité qu’ils entendent donner aux morceaux qu’ils composent. Il s’agit rien moins que d’incarner leurs fantasmes d’Amérique en cherchant à raviver l’esprit de la conquête de l’Ouest de la fin du XIXe siècle. Voici donc deux lads qui n’ont alors jamais mis un pied aux USA qui décident d’aller marcher sur les brisées classieuses de la sophistication rustique du Band de Music from the big pink et de se frotter à cet Americana mêlant en son cœur chaud blues, country, folk, soul ou gospel. Tumbleweed connection apparaît ainsi comme un rêve d’Amérique jailli des trottoirs de Londres (d’où ses airs stoniens peut-être). Les chansons de l’album regorgent de personnages et de lieux droit sortis de la mythologie US : soldats confédérés, cow-boys et hors-la-loi, ranches et saloons… pour lesquels John concocte un habillage musical parfaitement idoine. Alors que Elton John l’album affichait une joliesse frisant la préciosité, Elton John le songwriter prend ici une nouvelle épaisseur qui confère à ces chansons une profondeur de champ remarquable. Les arrangements de Paul Buckmaster sont d’une grande justesse pour donner une fluidité à un ensemble pourtant chargé, et chaque écoute confirme qu’on a ici affaire à une équipe en train de trouver la bonne alchimie. Il s’agit bien d’une équipe car Elton John commence à fédérer avec lui une forme de groupe qui va l’accompagner au fil de ses plus hauts faits d’armes des 70’s, de Dee Murray (à la basse) à Nigel Olsson (à la batterie).
I’d like to know where the riverboat sails tonight / To New Orleans well that’s just fine alright / `cause there’s fighting there and the company needs men / So slip us a rope and sail on round the bend
My father’s gun
Tumbleweed connection s’ouvre sur un Ballad of a well-known gun annonçant d’emblée la couleur, celle d’un rock and roll mâtiné de rhythm and blues sur lequel un chœur brûlant (dans lequel officie une certaine Dusty Springfield) s’emploie à faire monter en pression la chaudière. Ballad of a well-known gun préfigure d’autres morceaux de l’album, avec une construction qui s’écarte de la traditionnelle alternance couplet-refrain au profit d’une progression faisant monter la température du morceau jusqu’à une forme d’apogée. Se dégage ainsi de ces chansons une forme de puissance, une évidence rehaussée d’une élégance mélodique pleine de finesse. C’est cette combinaison qui insuffle son énergie pastorale à Where to now St Peter ? ou fait briller le formidable Amoreena au lustre proto-glam, qui prélude certains passages de Bowie ou T-Rex. Talking old soldiers est une ballade au piano qu’on aimerait entendre reprise par Tom Waits tandis que My father’s gun pourrait figurer sans rougir sur les meilleurs albums de David Crosby et constitue sans nul doute le pic d’intensité de l’album. On n’oubliera évidemment pas de mentionner la grâce et la beauté de Come down in time, pas de côté par rapport à la tonalité américanisante de l’album mais véritable bijou de pop de chambre, ourlé de magie (et de harpe, et de hautbois…). L’album se clôt par un Burn down the mission aux teintes gospel qui s’écoule en fin d’album avec la majesté d’un bateau à aubes sur le Mississippi lentement emporté par les rapides pour terminer en une sorte d’apothéose qui en fera un des morceaux de gloire des prestations scéniques 70’s du bonhomme.
Oh if only I could nestle in the cradle of your cabin / My arms around your shoulders the windows wide and open / While the swallow and the sycamore are playing in the valley / Oh I miss you Amoreena like a king bee misses honey
Amoreena
Curieusement, Tumbleweed connection, malgré de très bons chiffres de vente, demeure aujourd’hui un album assez méconnu dans la discographie d’Elton John, comparé notamment avec les feux d’artifice multicolores que seront Goodbye yellow brick road ou Captain Fantastic and the brown dirt cowboy. C’est néanmoins peut-être à mon sens le plus touchant.
1 réponse
[…] majeure. Deux ans plus tôt, le binôme John / Taupin avait déjà frappé fort avec le formidable Tumbleweed connection dont j’ai tressé les louanges il n’y a pas si longtemps. Madman across the water, […]