Derniers feux
R.E.M. Collapse into now (2011, Warner)
Il est l’heure ce soir de boucler la boucle et d’arriver au terme de cette lente et passionnante – du moins pour moi – remontée chronologique de la discographie du plus célèbre groupe d’Athens dont ce Collapse into now vint marquer il y a maintenant déjà six ans le point final. Avec Accelerate, R.E.M. avait affiché sa volonté de se recentrer sur ses fondamentaux en cherchant à raviver le temps d’un album compact et vigoureux le souvenir de l’énergie rock des débuts. Avec ce résultat mi-figue mi-raisin, il apparaissait cependant de plus en plus douteux pour bon nombre de fans que le groupe puisse retrouver la flamme qui l’animait au fil brûlant des années 1980 ou la sublime majesté de ses années 1990 (jusqu’à Reveal selon moi). R.E.M. n’ayant jamais manqué d’intelligence, Michael Stipe, Peter Buck et Mike Mills s’interrogèrent évidemment eux aussi sur ce qu’ils avaient encore à donner.
I think / I’ll sing and rhyme / I’ll give it one more time / I’ll show the kids how to do it / Fine, fine, fine
All the best
Les discussions sur l’avenir du groupe – qui agitèrent plusieurs fois sa longue existence – refirent surface dès la tournée Accelerate. Le groupe devait encore un album à Warner et alors que Stipe entretint ses comparses de son souhait de faire un break après cet enregistrement, l’idée d’en rester là s’imposa à chacun. Collapse into now fut donc dès l’origine conçu avec la pleine conscience qu’il devait mettre un terme à une aventure musicale majeure qui durait depuis plus de trente ans. Pas question cependant pour les membres de R.E.M. de dramatiser la situation et, fidèle à leur constante humilité, c’est sur cet album modeste et émouvant qu’ils choisirent de baisser le rideau. Loin de l’auto-célébration morbide ou de la tentation du pathos, Collapse into now célèbre avec simplicité la fin du (long) chapitre d’une vie mais n’enterre pas l’amitié et la complicité qui soutenaient l’ensemble. On entend donc tout du long un groupe cherchant à se – et nous – faire plaisir une dernière fois, conscient que ses instants les plus cruciaux sont derrière lui mais conservant en lui suffisamment de talent et de savoir-faire pour joliment brûler ses derniers feux.
Well I’m nothing but confused / With nothing left to lose / And if you buy that / I’ve got a bridge for you
Every day is yours to win
L’album s’ouvre en tout cas sur une sorte de fausse piste, plaçant d’entrée de jeu deux rockers tout en guitares robustes et rutilantes, Discoverer et All the best, et pouvant ainsi laisser accroire en un bouquet final résolument électrique. Collapse into now dévoile en fait une palette bien plus riche que ce rock à guitares un poil convenu, malgré quelques vertus roboratives (sur le fringant All the best notamment). R.E.M. se livre ici à une forme de survol de quelques uns des territoires arpentés par le passé, revenant sur ses Maps & legends, ses cartes et ses légendes, pour citer un de ses titres emblématiques. Le groupe renoue donc tour à tour avec le folk-rock à arpèges (Oh my heart et ses chœurs R.E.M.-esques ou le magnifique Every day is yours to win), la ballade bleu électrique façon Up (Uberlin) ou le rock plus abrasif de Document. Au fil des morceaux, le fan se plaira à relever clins d’œil et auto-citations, des réminiscences de Losing my religion sur le grave et beau Me, Marlon Brando, Marlon Brando and I à la presque relecture de E-bow the letter sur le conclusif Blue partagé avec Patti Smith. La présence de cette dernière comme celle d’autres partenaires de jeu (Peaches, Eddie Vedder) illustre bien la volonté du groupe de ne pas livrer un disque plombant comme un adieu, mais de partager un dernier tour de scène, le sourire en coin, histoire de faire rugir encore quelques amplis avant de remballer les caisses dans le tour-bus, comme sur le pétulant Aviator_alligator_autopilot_antimatter.
We live and dream about our heroes / I listened closely, and I said / I’m not sure where to place myself her, friend / I might pawn the gold rings instead
Me, Marlon Brando, Marlon Brando and I
S’il ne rajoutera rien à la légende d’un groupe qui n’avait de toutes façons pas besoin de ça, Collapse into now constitue un drôle de final en mode mineur, une façon digne de clore dans une relative discrétion une aventure artistique considérable, une bonne partie du rock indépendant étant aller boire à sa source. On pourra écouter sans honte ce dernier épisode qui nous invite finalement à nous replonger encore dans les grands moments de la discographie d’un groupe qui nous rappelait ici les bonnes raisons qu’on avait de l’aimer.
Bravo Frédéric pour ce passage en revue de la discographie de R.E.M, détaillé et captivant. Vous lire est toujours un très grand plaisir. Et merci pour la réévaluation de Reveal (et pas la révealuation de Reeval), que je trouve très bon et qui est souvent un peu méprisé (cf le classement “From worst to best” de Stereogum par exemple).
Merci beaucoup 😉