Monstre froissé
R.E.M. Monster (1994, Warner)
Poursuivons ce soir notre remontée chronologique de la riche discographie du plus fameux quatuor athénien de l’histoire. En 1993, R.E.M. semble avoir le monde à ses pieds ou peu s’en faut. Le groupe vient d’aligner coup sur coup trois albums au succès chaque fois grandissant : Green, Out of time et Automatic for the people (pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi) , le dernier nommé étant de surcroît un éblouissant chef-d’œuvre, figurant alors (et toujours aujourd’hui) leur acmé artistique. Les quatre compères se réunissent dans le courant de l’année pour élaborer ensemble un véritable plan sur deux ans, programmant la sortie d’un album qui serait cette fois suivi d’une tournée mondiale, ce que le groupe n’avait pas fait depuis 1989.
Make your money with exploitation / Make it holy illumination / Say a prayer at every station / Don’t forget to ask for mercy / Make your money with a pretty face / Make it easy with product placement / Make it charged with controversy / I’m straight, I’m queer, I’m bi
King of comedy
Un brin lassé des ambiances crépusculaires et de l’atmosphère plutôt grave de ses derniers albums, R.E.M. décide de ressortir du placard les guitares électriques et les amplis, sans doute poussé aux fesses par la déferlante grunge alors à son sommet derrière le rez-de-marée Nirvana. Le groupe n’allait cependant pas anticiper que la vague grunge s’apprêtait à se retirer en laissant derrière elle un champ de désolation. Le suicide de Kurt Cobain frappait R.E.M. – et quelques millions de personnes – de plein fouet durant les sessions d’enregistrement, plombant forcément une ambiance qui allait s’alourdir au fil des semaines, de nombreuses tensions survenant entre les membres du groupe. Tout cela aura sans doute concouru à faire de Monster un disque bancal, un joyeux retour aux sources sur lequel on aurait jeté un voile noir d’amertume et de tristesse. Dans ses textes, Michael Stipe endosse une série de rôles de personnages plus ou moins tourmentés, faisant à l’occasion preuve d’une ironie grinçante sur les travers de la surexposition médiatique (King of comedy) et livrant ses paroles les plus sexuellement explicites depuis les débuts du groupe.
Are you coming to ease my headache ? / Do you give good head ? / Am I good in bed ?
I don’t sleep, I dream
Malgré les tensions ayant présidé à son enregistrement, Monster fait plutôt bien illusion en ce qu’il donne à entendre un groupe compact, semblant prendre plaisir à ressortir ses pédales d’effet et à se payer de larsens et de guitares fuzz. On n’est pourtant qu’à moitié convaincus, tant tout cela paraît un brin téléphoné. Certes, des morceaux comme What’s the frequency Kenneth ? ou Crush with eyeliner s’écoutent sans déplaisir, ne serait-ce que pour entendre se mêler les guitares de Peter Buck et Thurston Moore croiser le fer sur le dernier nommé. Mais dans l’ensemble, les chansons sont rarement au niveau de ce qu’on pourrait attendre d’un groupe comme R.E.M. qui roule beaucoup trop à l’ordinaire sur les convenus Circus envy, Star 69 ou King of comedy. Peut-être a-t-on un peu de mal à croire à cette sorte de retour à l’adolescence rock chez un groupe qu’on a toujours aimé mature ? R.E.M. en vient même à s’auto-citer de façon ostensible sur la ballade Strange currencies qui reprend sans la grâce les accords de son classique Everybody hurts. Je ne voudrais pas cependant paraître trop sévère pour un disque qui compte aussi ses bons moments. On appréciera ainsi l’électricité inquiète qui recouvre des morceaux comme Bang and blame, I took your name ou le très réussi I don’t sleep, I dream. Le charme agit aussi sur Tongue, ballade au piano fragile et alerte mais la grâce ne frappe vraiment qu’une fois, sur le bouleversant Let me in, hommage incandescent à feu Kurt Cobain, long sanglot électrifié en mémoire d’un ami défunt.
I had a mind to try to stop you, let me in, let me in / I’ve got tar on my feet and I can’t see / All the birds look down and laugh at me / Clumsy, crawling out of my skin
Let me in
Loin de prétendre occuper les premières loges d’une discographie touffue, Monster apparaît comme un disque mi-figue mi-raisin, qui ne décolle jamais vraiment et donne à entendre un groupe un peu maussade, comme froissé de s’apercevoir qu’il ne suffit pas de brancher les guitares pour retrouver la jeunesse et la fraîcheur. Monster est aussi un des rares disques de R.E.M. qui montre le groupe en train de s’essayer à un style qui n’est pas vraiment le sien, un succédané de Hüsker Dü sans la rage furieuse ou quelque chose du genre ; le disque est ainsi considéré par beaucoup de fans comme le début du déclin artistique du groupe. Mais Monster parvient à ne pas être un plantage complet parce que R.E.M. n’est pas un groupe lambda, toujours capable d’être intéressant même dans ses faux pas. La suite prouvera que le groupe avait encore de la ressource.
2 réponses
[…] nomades composées dans leur grande majorité au fil de la tournée XXL ayant suivi la sortie de Monster. On ne s’étonnera donc pas si cet album ressemble à une sorte de road trip, un […]
[…] à l’image de ce que fit R.E.M. après son sommet Automatic for the people avec le très rock Monster, Morrissey change complètement son fusil d’épaule et déboule ici avec un drôle de disque […]