La suite de l’histoire
Liz Phair Whip-smart (1994, Matador)
Le succès inattendu de son remarquable premier opus, l’inépuisable et acclamé Exile in Guyville, ne pouvait manquer de faire peser sur les épaules de Liz Phair une pression certaine au moment de lui donner un successeur. A son tour, et après tant d’autres, la jeune femme basée à Chicago se trouvait devoir négocier le périlleux tournant du deuxième album et transformer un premier essai ayant placé la barre très haut. Elle disposait néanmoins de suffisamment d’atouts pour relever le gant et éviter de dilapider le crédit gagné par ses formidables débuts et si Whip-smart ne saurait prétendre aux mêmes louanges que son magistral aîné, il s’avère aligner assez de qualités pour mériter ses galons de très bon disque.
I met him at a party and he told me how to drive him home / He said he liked to do it backwards / I said, “That’s just fine with me, That way we can fuck and watch TV.”
Chopsticks
Après la réussite – critique, artistique et commerciale – de Guyville, Liz Phair a l’intelligence de ne pas révolutionner sa formule et de parvenir à la faire subtilement évoluer sans céder aux travers de la redite. La jeune femme décide d’abord de ne pas changer une équipe qui a fait ses preuves, maintenant sa confiance en ses fidèles Brad Wood (producteur et multi-instrumentiste) et Casey Rice (à la guitare). Elle s’appuie aussi en partie sur ses fondamentaux, allant rechercher des morceaux tirés des premières démos extraites de ses Girly sounds originaux, ces cassettes auto-produites qui lui valurent de se faire remarquer. Musicalement, Liz Phair continue de jouer un indie-rock à guitares souple et nerveux, sur lequel sa voix tour à tour fragile et blasée narre la chronique sans fard des aléas de la vie amoureuse. A vrai dire, Whip-smart est construit comme un tout déroulant une relation amoureuse de la première baise à la débandade finale et aux cendres laissées. Par rapport à Exile in Guyville, la production a gagné en opulence, le son se fait moins abrasif et moins percutant, tandis que les structures des chansons prennent une tournure bien plus pop mais l’ensemble est exécuté avec suffisamment de talent pour qu’on accepte sans trop rechigner de suivre la jeune femme, capable d’aligner encore une poignée de morceaux brillants et culottés.
The canyon air is like a breath of fresh L.A. / I was a Star Trek crew member, with my Beatle boots and my Super-8 / And I raced you to the top, the camera gets a stuttered shot / Of me approaching a painted shrine / I kissed the Buddah and made him cry
Dogs of L.A.
Il faut en effet du culot pour ouvrir l’album sur cette drôle de ballade au piano fatigué qu’est Chopsticks, aftersex à la voix éraillée en cours de dégrisement, trouble comme le petit matin d’une nuit sans sommeil. L’enchaînement avec le pétulant Supernova marque alors une brutale rupture de ton, cette pop-song énamourée qui semble concrétiser les promesses nées du flou du premier soir faisant éclater son riff et son refrain comme des bulles de chewing-gum. Cette ouverture en forme d’oxymore semble traduire les aspirations contraires de la jeune femme, tiraillée entre ses envies d’élargir son audience sans perdre les aspects les plus incisifs de sa musique. L’album oscille ainsi tout du long entre ces pôles mais demeure globalement encore sous l’influence formelle de Guyville. Les meilleurs morceaux de Whip-smart confirment en tout cas que Liz Phair n’a pas perdu la main, capable de mêler dans un même mouvement désabusement et détermination, questionnements et ironie. On reviendra donc avec bonheur vers un Support system empli d’orageuse nonchalance ou vers le génial Go West tout de détermination blessée. Sur”Dogs of L.A., Liz Phair se fait inhabituellement plus tendre que rêche tandis que Jealousy évoquerait presque les guitares rougeoyantes de la PJ Harvey première époque (en moins fulgurant). On appréciera également l’étrangeté presque aquatique de Nashville et le magnifique May Queen final, sans doute une des chansons les plus émouvantes de la jeune femme. On pourra regretter que ces excellents morceaux doivent partager l’affiche avec d’autres moins inspirés (Shane, Alice Springs…) mais sans doute que Miss Phair manquait un peu de temps (ou d’inspiration) pour aller faire le match avec son précédent Exile in Guyville. Whip-smart n’en constitue pas moins une suite fort digne à un premier album d’exception et la jeune femme restera dans le futur bien loin de ce niveau pour ce que j’en connais.
Imagining me behind your eyes / And what did I see? / I saw hips, I saw thighs / I saw secret positions that we never try / I saw jealousy
Jealousy
On terminera vraisemblablement l’année là-dessus. Je vous souhaite donc de très bonnes fêtes dont j’espère que vous soignerez la bande-son et espère vous retrouver en 2018 pour de nouvelles aventures.
1 réponse
[…] le promettre ces brillants débuts. Liz Phair enchaîna avec un deuxième opus de bonne facture, Whip smart dès 1994. Quatre ans et un bébé plus tard, Liz Phair fit paraître Whitechocolatespaceegg que je […]