Gillian Welch Time (the revelator) (2001, Acony Records)
Petite fille de la ville, née à Manhattan et grandie à Los Angeles, Gillian Welch se passionne dès l’enfance pour la musique traditionnelle américaine. Elle s’abreuve aux ondes des radios locales de hillbilly, de country ou de bluegrass, se laissant notamment bercer par les harmonies de la Carter Family. Après des études de musique à Boston, elle commence à tourner dans les clubs à travers le pays avec son compagnon David Rawlings, et elle finit par être remarquée en 1996 par le célèbre T-Bone Burnett qui lui permet d’enregistrer un premier LP intitulé Revival. Après un deuxième album paru en 1998, Hell among the yearnings, et diverses participations à des bandes originales (dont celle du O Brother des frères Coen) et des compilations, elle enregistre en 2001 ce magnifique Time (the revelator).
I was thinking that night about Elvis / Day that he died, day that he died / Just a country boy that combed his hair / And put on a shirt his mother made and went on the air / And he shook it like a chorus girl / And he shook it like a Harlem Queen / He shook it like a midnight rambler, baby / Like you never seen, like you never seen, never seen
Elvis Presley blues
A l’instar d’autres folkeuses nord-américaines de première classe, comme Laura Veirs ou Alela Diane, Gillian Welch semble se faire le vecteur d’une musique bien plus âgée qu’elle, apparaissant comme traversée par des airs venus du début du vingtième siècle et charriant avec elle d’antiques douleurs et quelque chose comme les effluves d’une sagesse ancestrale. Accompagnée de son fidèle David Rawlings, Gillian Welch joue hors du temps une country majestueuse, un folk intemporel qui se moque bien des paraître moderne et des petites vagues de la hype (un peu comme chez le grand Will Oldham) ; aucun revival passéiste dans ces chansons-là, juste une musicalité intense et des vagues d’émotions belles à pleurer. Gillian Welch s’empare d’un idiome éternel et en démontre s’il en était besoin l’intouchable actualité, sans pour autant afficher une révérence timide.
Now, give me some of what you’re having / I’ll take you as a viper into my head / A knife into my bed, arsenic when I’m fed / I dream a highway back to you
I dream a highway
L’album s’ouvre avec une chanson d’exception, le grandiose Time (the revelator), qui ondoie en lentes et sublimes circonvolutions, avec ses notes de guitare acoustique crépitant comme un feu sous la lune. Le titre pose d’emblée le cadre esthétique de ces chansons : les guitares de Welch et Rawlings s’entrecroisent ou se soutiennent, une mandoline ou un banjo trace quelques lignes de fuite et batterie et percussions sont délibérément absents. Cette déclaration d’intention stylistique trouve son acmé dans le morceau final, ce I dream a highway qui nous emmène dans une lente dérive de plus de 15 minutes, et nous fait naviguer au crépuscule sur un fleuve mystérieux, un ailleurs inconnu, peut-être un au-delà. Morceau-Charon, ce I dream a highway semble réellement nous emmener sur l’autre rive du Styx, traînant avec lui un cortège de fantômes (dont Gram Parsons) laissant résolument derrière eux leur vie d’ici comme pour répondre à un impérieux appel. Entre ces deux chansons impériales, Gillian Welch déploie toutes les beautés des musiques traditionnelles américaines. My first lover tressaille au son du banjo tandis qu’on imagine volontiers Welch en chanteuse de saloon sur l’excellent Red clay halo. On retiendra aussi la mélancolie limpide d’April the 14th ou le remarquable Elvis Presley blues, qui convoque les mânes du mythe Presley, figure incontournable du folklore américain. Et sur toutes ces chansons résonne la voix sans âge de Gillian Welch, profonde et belle, lumineuse et charriant avec elle des failles abyssales et mille sortilèges pour les combler.
All the girls, all dance with the boys from the city / And they don’t care to dance with me / Now it ain’t my fault that the fields are muddy / And the red clay stains my feet
Red clay halo
Je n’ai jamais eu l’occasion d’écouter d’autres disques de l’Américaine, comme si celui-ci suffisait il faut croire. A vrai dire, la dame n’a sorti que deux autres albums depuis : Soul journey en 2003 et The harrow & the harvest en 2011. Je recommande cependant fortement la merveilleuse reprise du Black star de Radiohead que Miss Welch a enregistré en 2006. Cet album demeure une des plus belles preuves de la beauté sans âge de ces musiques américaines traditionnelles, emplies d’espace et de poussière, jamais aussi belles que dans leur plus simple appareil.