Rester en vie
Girls in Hawaii Everest (2013, Naïve)
L’histoire de Girls in Hawaii débute comme celle de milliers de groupes : deux copains d’un coin du monde, ici Braine-l’Alleud, dans le Brabant wallon, décident de partager plus avant leur amour pour la musique et d’essayer, pourquoi pas, de vivre un peu plus fort pendant qu’ils sont jeunes en allant voir si tout cela pouvait bien être aussi excitant que ça en avait l’air. Les deux copains, Antoine Wielemans et Lionel Vancauwenberghe, réunissent autour d’eux chacun un frère plus deux potes de fac et les voilà lancés à la conquête du monde. Ces six gars de Belgique trouvent spirituel de baptiser leur groupe Girls in Hawaii et ils répètent, ils jouent, ils tournent, ils se prennent au jeu et comme ils sont doués, et motivés, et qu’ils ont sans doute ce qu’il faut de chance ou de flair, leur petite troupe prend assez la lumière pour signer sur un label et faire paraître un premier album, From here to there, à l’automne 2003. Ce disque à la pop mélodique, subtile et attachante, leur vaut un succès inattendu. Trois ans après sa sortie, l’album affiche des chiffres de vente fort estimables et Girls in Hawaii s’en est allé arpenter les scènes du monde entier, jusqu’aux USA et au Japon. Le rêve des débuts est devenu réalité. L’histoire se poursuit comme il se doit avec un deuxième album plus difficile d’accès, plus contrasté mais pas sans qualités, Plan your escape qui paraît en 2008. C’est alors que la belle aventure prend un virage tragique avec le décès brutal en 2010 dans un accident de la route de Denis Wielemans, batteur du groupe et frère d’Antoine. Le rêve est abîmé.
There is always a fall / But it happened too soon / How can I see the living all around / When I struggle with you
Misses
Face à la mort, chacun fait comme il peut. Antoine Wielemans choisit de prendre le large et de mettre le groupe en pause un moment. Il se reconstruit peu à peu et parvient à littéralement composer avec – ou malgré – la douleur du deuil. Face à la mort, chacun fait comme il peut, et Antoine retrouve l’ami des débuts, Lionel Vancauwenberghe pour remettre sur pied Girls in Hawaii, dans une formation forcément remaniée. C’est l’histoire de cette reconstruction qui s’entend le long des onze chansons anthracite de cet Everest, paru en 2013. Everest n’est pas un chant d’adieu au frère et à l’ami disparu mais donne à voir le spectacle poignant d’une recomposition intime, où chaque morceau semble essayer de répondre à cette double question : comment faire avec ? comment faire sans ? Chaque chanson montre ainsi un groupe cherchant à s’approprier un paysage devenu inconnu, laissé dévasté par un drame en ayant retourné les entrailles. Sur Everest, on voit donc des crevasses et des failles, des rocs déchirés, des pentes hostiles et éreintantes, de la pluie froide battant les lichens. Les guitares pop d’autrefois ont cédé la place à des nappes de clavier qui créent de nouveaux climats, tantôt brouillards, tantôt éclaircies. La pop complexe du groupe se rapproche alors davantage du Radiohead période Hail to the thief ou des climats éthérés et poignants de Grandaddy. Mais si la tonalité du disque est éminemment grave, il est parcouru par une énergie de survivant qui ne le rend jamais plombant. Le groupe proclame ainsi We are the living ou Not dead comme pour mieux chasser le spectre qui le hante et s’afficher vivant, malgré tout.
I am strongly upset / Down in my knees / Left to hear a calling you’re the talk / Please turn me off or wake me up
Not dead
Si Everest affiche une remarquable cohérence stylistique, il brille par quelques sommets qui coudoient franchement les nuages. Dans un registre pop, le bouleversant Misses à la ténacité intranquille nous noue les tripes à chaque écoute. L’épatant Not dead scintille lui aussi comme un phare dans la nuit, un bras d’honneur adressé à la Faucheuse. Mais Girls in Hawaii prend une ampleur encore plus impressionnante sur le vertigineux Switzerland dont l’avalanche sonique n’est pas sans rappeler les fameux coups de tabac du plus grand des groupes belges, les grands dEUS. Cette flamme inquiète brûle aussi sur des morceaux comme Mallory’s height (qui pour le coup ressort les guitares) ou le martial Rorscharch, tâche noire qui prend la forme d’une imposante montagne. On s’émerveillera aussi devant la trame étincelante de Here I belong et son murmure chanté-parlé qui capte l’auditeur et le retient. Le terminal Wars ajoute une note onirique bienvenue, mettant en lumière des effets électroniques inédits chez le groupe. Ce morceau vient d’ailleurs pertinemment rappeler que, sans être révolutionnaire dans son expression, la musique délivrée ici par Girls in Hawaii ne se réduit pas à sa forte charge émotionnelle, mais prend des structures plus complexes qu’elles n’en ont l’air, animées par une réelle volonté de ne pas s’enfermer dans des formes trop convenues. Une façon de mêler habilement le viscéral et le cérébral.
Locked ghosts in the sea of our minds / Leaving themselves and dancing around / All the drunks went crazy at the same time
Here I belong
Après avoir sorti un album live en 2014, Hello strange, le groupe vient de revenir sur le devant de la scène avec Nocturne, paru au mois de septembre et que j’avoue ne pas encore avoir écouté.
2 réponses
[…] ce bouleversant disque de deuil et de résilience que constitue leur Everest de 2013, les Belges de Girls In Hawaii livrent sous nos yeux un combat harassant pour reprendre […]
[…] extrait du remarquable Everest des Belges de Girls in Hawaii à figurer dans ce classement, « Switzerland » donne à voir la […]