La magie du Grand Esprit
Jonathan Wilson Gentle spirit (2011, Bella Union)
C’est un disque sans âge, qui pourrait avoir été enregistré au cœur de Laurel Canyon à cheval entre les décennies 60 et 70 aussi bien qu’il y a deux ans par un émule surdoué de Bon Iver ou des Fleet Foxes, autres frères d’âme portant haut – comme tant d’autres avant eux – la flamme éternelle de l’Americana. C’est un disque sans âge, qui s’abrite à l’ombre d’un arbre généalogique musical ancestral et lui donne de nouveaux fruits, à la saveur familière mais pourtant inconnue. Un disque sans âge mais pas sans racines, qui s’ancre résolument en un lieu, ce Laurel Canyon mythique qui accueillit des années durant la fine fleur du rock et du folk américains, de Neil Young à Joni Mitchell, d’Hendrix à David Crosby. Pour autant, depuis ce coin d’Amérique, la musique de Jonathan Wilson dessine des paysages innombrables, des plaines et des vallées, des déserts et des rivières, incarnant comme peu de disques récents tous nos fantasmes d’Amérique, d’espaces infinis ouvrant le cœur et l’esprit vers de nouveaux horizons. C’est un disque immense, se déployant avec majesté pour transporter l’auditeur et le soumettre à sa magie et ses mystères, l’envelopper de ses tons chauds et déposer sur son épaule après plus d’une heure d’écoute fascinante le souffle du Grand Esprit.
Follow me down to the divine lakes / With the canopy over head / Lavender pick and dry / Keep the pillow for your head at night
Can we reeally party today ?
Après avoir fait partie à la fin des années 1990 d’un groupe, Muscadine, qui connut une certaine notoriété aux USA, Jonathan Wilson s’établit pendant plusieurs années comme musicien de session et producteur. On le vit ainsi officier auprès d’Elvis Costello ou de Will Oldham, d’Erykah Badu ou de Jackson Browne. Il finit par faire paraître un premier album solo, Frankie Ray en 2007. Son influence grandit et il commença à rassembler autour de lui, à Laurel Canyon, une communauté de musiciens avec lesquels il organisait régulièrement des jam sessions chez lui, autour d’un verre ou d’un barbecue. Ayant réuni un véritable groupe, Jonathan Wilson enregistra son deuxième album solo, ce Gentle spirit qui parut donc en 2011 chez les orfèvres de Bella Union, qui ne pouvaient décemment pas passer à côté d’une telle beauté.
Looking for a reason not to stay drunk / All the time / Fell my way through the creases of those wrinkled linen sheets / Of time
Ballad of the pines
Que dire de plus que je n’ai pas déjà évoqué dans le premier paragraphe de ce billet ? Sur ce disque-fleuve, Jonathan Wilson livre un disque ouvragé comme les plus beaux fleurons sortis des mains et des cerveaux des génies ayant fréquenté avant lui Laurel Canyon. On pense fréquemment au long de ces treize morceaux au David Crosby en lévitation de If I could only remember my name ou aux grandes heures de Neil Young et du Crazy Horse. Jonathan Wilson laisse sa musique couler, emplir l’espace et décoller du sol sans effort apparent. Le charme opère alors aussi bien sur des ballades bucoliques et rêveuses à faire pâlir d’envie les Fleet Foxes (Don’t give your heart to a rambler ou Ballad of the pines) que sur des morceaux épopée atteignant sans faiblir les 7 ou 8 minutes comme l’extraordinaire Desert raven ou l’imposant Valley of the silver moon final. Wilson touche à la grâce à plusieurs reprises, comme sur l’introductif Gentle spirit ou le bouleversant Can we really party today ?. Sur Natural rhapsody, la pente psychédélique du bonhomme l’amène à convoquer le Radiohead de OK computer sur les collines de LA tandis que la torpeur de Woe is me évoque les plages les plus étales de Red House Painters. A certains moments, la fièvre monte, s’empare des claviers et fait souffler un vent soul roboratif (The way I feel). La fièvre semble à vrai dire toujours présente, qu’elle fasse scintiller un ciel étoilé sous les yeux ou engourdisse les membres, tant ce disque se plaît au délicieux dérèglement des sens. On recommandera ainsi ardemment le génial Magic everywhere, chef-d’œuvre de folk en mouvement qui fait défiler sous nos yeux ébahis toutes les beautés rêvées de l’Ouest américain. Ce titre de Magic everywhere pourrait d’ailleurs parfaitement résumer l’impression laissée par l’écoute de ce très grand disque, car il y a bien ici de la magie partout, Wilson s’y entendant comme pas deux pour emplir sa musique d’une spiritualité quasi panthéiste, comme si la nature et ses fantômes chantaient à travers sa musique. Le vent, les arbres, les oiseaux, le désert, tout vibre, tout bruisse, tout semble nous parler et c’est tout bonnement splendide.
Further out to sea I heard the birds wings over me / The vibrations in the air to my ears / The sun was rising slinking low the day was saddled up to go / The desert’s lonely nightfall disappears
Desert raven
Jonathan Wilson a fait paraître son troisième album l’année dernière, le monumental Fanfare, dont on est loin d’avoir fait le tour et sur lequel on reviendra certainement dans ces pages.
2 réponses
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