Le crépuscule des idoles
Pavement Terror twilight (1999, Matador)
Après une quasi-décennie passée à multiplier virages à angle droit, dérapages plus ou moins contrôlés et loopings stratosphériques pour sans cesse se trouver là où l’on ne l’attend pas, Pavement aborde la fin des années 1990 avec collée sur la chemise l’étiquette de “plus grand petit groupe du monde”, de “plus influent des groupes méconnus”. Coiffé d’une auréole de crédibilité underground en béton armé, le groupe semble proche de réaliser le crossover réussi par R.E.M. une décennie plus tôt, et d’adjoindre à son immense respectabilité critique les suffrages des foules. Le trottoir le plus fascinant du rock 90’s va-t-il se transporter vers les néons des grands boulevards, là est alors la question (ou semble l’être). En 1999, le monde du rock vénère Pavement, et beaucoup s’essaient à déchiffrer les recettes – évidemment introuvables – de sa coolitude légendaire et de son capharnaüm céleste. Le groupe est ainsi sollicité par le producteur du moment, Nigel Godrich, l’homme aux manettes derrière les constructions savantes du OK computer de Radiohead et déjà venu brosser – avec talent – la tignasse de Beck sur l’album Mutations. Malkmus et sa bande acceptent de tenter le pari, de travailler avec Godrich pour enregistrer ce cinquième album studio et de revoir à la hausse leurs standards habituels de production (et leur budget studio par la même occasion). Au bout du compte, presque 20 ans plus tard, le résultat demeure toujours mi-figue mi-raisin, mais paradoxalement toujours goûteux. Et si Terror twilight est sans doute le moins bon album de Pavement, il n’est pas pour autant un disque raté. On pourrait en fait regarder ces onze morceaux tantôt sous l’angle du “verre à moitié vide”, tantôt sous celui du “verre à moitié plein”.
Lip balm on watery clay / Relationships hey hey hey / You kiss like a rock but you know I need it anyway / Angles from the ringside seats / When they fall, don’t blame me
Major leagues
Verre à moitié vide : la greffe Godrich ne prend pas vraiment sur l’arbre Pavement. Stephen Malkmus déclarait lui-même tout récemment que le disque lui apparaissait rétrospectivement comme “surproduit” et que le producteur peina tout du long à retrouver sa patte sonore durant l’enregistrement. La tendance ligne claire de Godrich se marie assez mal avec le trait brut de Pavement et les chansons ne débordent jamais vraiment du cadre que semble imposer la production. A trop vouloir polir les angles de ses morceaux, Pavement perd un peu en spontanéité, en folie. A certains moments (Speak see remember, The hexx), on se prend même à bailler poliment ou à penser à autre chose ; à d’autres, les excentricités du groupe semblent trop sous contrôle pour être 100% honnêtes, comme si le groupe en était réduit à s’auto-caricaturer. Terror twilight affiche par ailleurs une cohérence paradoxale : s’il est sans doute l’album de Pavement le plus homogène stylistiquement parlant, cette cohésion apparaît comme un trompe-l’œil. On sait que l’album ne contient plus que des compositions de Stephen Malkmus (et aucune de l’autre tête pensante du groupe, Scott Kannberg) et cette unité de ton semble plutôt révéler les lézardes qui craquèlent alors Pavement. L’esprit de corps et l’évidence qui se dégageaient de Slanted and enchanted ou de Crooked rain crooked rain n’apparaissent ici que par intermittence. Et quand Malkmus entame Ann don’t cry avec ses mots : “The damage has been done / I am not having fun any more”, difficile de ne pas y entendre l’expression de son état d’esprit du moment par rapport au groupe.
Time is a one-way track / And I am not coming back / I dream in beige, why’d you leave me so far now ?
Cream of gold
Verre à moitié plein : toutes les frictions qui semblent avoir présidé à la fabrication de l’album produisent ici et là de formidables étincelles. La morosité qui nourrissait les somptueux clairs-obscurs de Brighten the corners donne là aussi corps à quelques magnifiques réussites comme sur les ballades en lévitation Major leagues ou Ann don’t cry. Les textes de Malkmus apparaissent particulièrement sombres et malgré son goût pour les tirades cryptiques, l’humour absurde et les paroles sans queue ni tête, on devine que les amours sont malaisées, les amoureux maladroits et les baisers ont parfois le goût de la pierre. Ce fond de malaise flotte comme l’huile sur une mer étale sur l’introductif Spit on a stranger et explose réellement sur un Cream of gold fumant et fiévreux. Le groupe démontre également sur plusieurs morceaux qu’il n’a pas forcément perdu tous ses talents d’artificier et qu’il demeure capable de faire exploser quand bon lui semble les mélodies qu’il avait paru si bien tracer (cf. Billie et ses embardées furieuses). Et Pavement garde aussi la main pour les chansons sous hélium, virtuoses et dilettantes à la fois, avec les imparables Folk jam et … And carrot rope, conclusion rigolarde d’un groupe qui n’a jamais souhaité se prendre trop au sérieux.
Watch out for the gypsy children in electric dresses they’re insane / I hear they live in crematoriums / And smoke your remains
You are a light
Terror twilight constitue au final le crépuscule d’un groupe essentiel, qui demeure avec le recul comme l’une des deux ou trois formations les plus importantes des années 1990, peut-être la plus importante d’ailleurs à mes yeux. Forcément, comme tout crépuscule, celui-ci charrie un peu de mélancolie, celle qui accompagne souvent la tombée du jour mais comme tout crépuscule, il donne à voir pour qui sait regarder de multiples beautés. La fin de l’histoire aurait peut-être pu être plus flamboyante, mais le parcours se sera révélé jusqu’au bout passionnant.
2 réponses
[…] tout autre genre, ce magnifique et mélancolique Major leagues, tiré du dernier album de Pavement, Terror twilight, dont on célébrait les vingt […]
[…] dans les traces sinueuses de Pavement. Pour qui savait que le dernier album du groupe, Terror twilight, se composait déjà intégralement de compositions de Malkmus, pas de quoi […]