Poussé par le vent
Tim Buckley Goodbye and hello (1967, Elektra)
Le premier album de Tim Buckley annonçait – comme je l’écrivais il y a déjà presque deux ans – de beaux lendemains, tant il portait en germes de vibrantes promesses sous ses airs encore verts. Dans la fébrilité d’une époque où le rock et la pop semblaient ouvrir tous les possibles, Buckley et son parolier Larry Beckett se remirent au travail aussitôt le premier opus sorti, pour mettre en musique la multitude d’idées bouillonnant sous leurs crânes et participer eux aussi à la furia créative d’alors. L’équipage ne manquant pas de talent, Goodbye and hello allait surpasser de beaucoup les prémices engageants de Tim Buckley. Et c’est un effet un formidable bond en avant que réalise le jeune homme, toujours flanqué de précieux auxiliaires, Beckett en tête mais aussi notamment le guitariste Lee Underwood.
Nightmares dreamed by bleeding men / Lookouts tremble on the shore / But no man can find the war
No man can find a war
Là où Tim Buckley naviguait dans les eaux d’un folk-rock relativement canonique, Goodbye and hello présente un Tim Buckley bien résolu à prendre le large. Ce n’est pas encore la haute mer, ses abysses et ses créatures fantastiques (cela viendra plus tard) mais le port est déjà résolument derrière. Musicalement, ces chansons relèvent toujours dans l’ensemble d’un registre folk-rock mais Buckley apporte une patte bien à lui et ses envies d’ailleurs qui commencent à joliment faire craquer les coutures du genre. Le garçon n’est bien sûr pas hermétique à l’air (musical) du temps et le courant du psychédélisme West Coast arrose des morceaux comme Pleasant street ou I never asked to be your mountain. Mais Buckley nourrit son inspiration d’autres influences, des bouffées médiévales de Carnival song ou Phantasmagoria in two aux tonalités orientales de Hallucinations. Le jeune homme (vingt ans tout juste, rappelons-le) ose des constructions plus aventureuses et insuffle surtout dans sa musique une forme de lyrisme incandescent, évidemment transcendé par cette voix unique, tantôt suave et fragile, tantôt impétueuse et déchaînée.
I felt you breathing / As I fell asleep / When I reached to touch you / No one was there and the night was deep
Hallucinations
Goodbye and hello s’ouvre par les coups de canon (au sens propre) de No man can find the war, dénonciation de la guerre du Vietnam qui faisait rage alors, et première poussée de fièvre d’un album riche en frissons. Le morceau permet aussi de constater que les envolées poétiques du bonhomme (et de Larry Beckett sur cette chanson) ne l’empêchaient pas d’être un minimum concerné par les convulsions politiques de son époque. Au fil du disque, Tim Buckley démontre qu’il a remarquablement étendu son terrain de jeu et semble confirmer que son désir sera son seul guide. Après un Carnival song prenant – ironiquement – des airs guindés de vieille Angleterre, Buckley aligne un Pleasant street phénoménal et torrentiel, tout de montées et de descentes sur lesquelles l’auditeur est ballotté abasourdi. Plus loin, Hallucinations scintille derrière un rideau moiré, cachant ses mystères et ses rêves perdus dans une brume magique. I never asked to be your mountain, en plus d’évoquer l’arrivée du petit Jeff de façon douce-amère, penche vers un folk-rock électrifié à la Jefferson Airplane tandis que Phantasmagoria in two marie les Byrds à des airs de classique, porté par la guitare en majesté de Lee Underwood. Buckley pousse plus avant cette drôle d’ambition de croiser folk, classique et psychédélique avec le gargantuesque Goodbye and hello, longue pièce, tantôt poignante, tantôt un brin indigeste, qui démontre surtout que le garçon ne manquait pas d’audace. On pourra néanmoins préférer à cette suite en plusieurs mouvements la nudité bouleversante de Once I was, comme le meilleur de Neil Young chanté par un ange, et le fabuleux Morning glory terminal, miracle de délicatesse mélancolique, qui s’évapore tel le brouillard à l’aube, laissant entre nos mains quelques poussières d’éternité.
I lit my purest candle close to my / Window, hoping it would catch the eye / Of any vagabond who passed it by, / And I waited in my fleeting house / Before he came I felt him drawing near / As he neared I felt the ancient fear / That he had come to wound my door and jeer / And I waited in my fleeting house
Morning glory
Pour filer la métaphore entamée plus haut, Tim Buckley prenait ici le large avec ce deuxième album contenant suffisamment de hauts faits pour émarger parmi les sommets d’une année 1967 pourtant particulièrement riche en la matière. Cinquante ans plus tard, le vent souffle toujours dans les voiles de ce remarquable Goodbye and hello ; il emportera son auteur plus loin encore, plus tard…
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1 réponse
[…] placé sur ma carte, j’en vins assez vite à découvrir la musique du père, Tim, à travers Goodbye and hello, son chef-d’œuvre de deuxième album ; j’en vins même à penser pendant quelque temps que […]