Devant soi, l’immensité
Fleet Foxes Helplessness blues (2011, Bella Union)
La réussite du premier opus des Fleet Foxes pouvait paradoxalement nourrir des raisons de s’inquiéter pour la suite des aventures des barbus de Seattle. Évident accomplissement artistique, ce grand disque de folk lumineux paré d’harmonies vocales dont on croyait la recette perdue allait aussi susciter un étonnant engouement public, notamment en Angleterre où le groupe écoula plus de 500 000 copies. Comment la pureté cristalline de cette musique, apparemment si peu bâtie pour le sommet des charts et les lumières artificielles, allait-elle résister à ce tohu-bohu ? Comment Robin Pecknold, architecte en chef de ces maisons de bois, allait-il conserver l’inspiration et préserver les clairières abritant ses chansons des gros sabots du succès ? Bref, les Fleet Foxes paraissaient particulièrement prédisposés à s’échouer comme tant d’autres sur les écueils du deuxième album suivant un premier essai acclamé.
Now I can see how / We were like dust on the window / Not much, not a lot / Everything’s stolen or borrowed
Lorelai
Le coup passa près mais le groupe allait finalement s’en sortir en beauté. Perclus de doutes, affecté par une douloureuse rupture sentimentale en partie semble-t-il causée par ses tourments créatifs, Robin Pecknold s’échina de longs mois à assembler les pièces de ce Helplessness blues qui de fait croise en eaux plus troublées que son lumineux prédécesseur. Le garçon livre ainsi sans fard au fil des chansons ses questionnements existentiels, ses fêlures et ses tâtonnements, souvent saisi d’un mélange exaltant et angoissant d’impuissance et d’incrédulité face aux choses de la vie. Cette musique semble pourtant toujours entourée d’un halo de lumière apaisante, dû sans doute aux merveilleuses harmonies vocales qui plus que jamais irradient les morceaux. La rencontre de ces humeurs sombres et de ces mélodies célestes engendre comme de juste un clair-obscur grandiose. Musicalement, Helplessness blues offre comme Fleet Foxes une Americana toute emplie de fraîcheur, un folk-rock aérien aux évidentes influences West Coast – de Crosby, Stills, Nash & Young aux Beach Boys. Néanmoins, Pecknold et sa bande n’hésitent pas à apporter par fines touches de nouveaux coloris à leurs paysages, du violon orientalisant de Bedouin dress à la poussée de fièvre free qui fait bouillonner le final de l’imposant diptyque The shrine / An argument. Toutes les petites imperfections du premier opus n’ont certes pas tout à fait disparu et la poussière soulevée par certains morceaux retombe un peu vite (Battery Kinzie, Someone you’d admire) ; mais, comme sur le premier opus – et même mieux encore – , les sommets sont souvent proprement bouleversants.
If I know only one thing, it’s that everything that I see / Of the world outside is so inconceivable often I barely can speak / Yeah I’m tongue-tied and dizzy and I can’t keep it to myself / What good is it to sing helplessness blues / Why should I wait for anyone else ?
Helplessness blues
On s’éblouira ainsi longtemps à contempler l’aurore de ce Montezuma d’ouverture, sur lequel Pecknold chante comme terrassé par la grandeur du monde. Plus loin, sur Helplessness blues, les Fleet Foxes ressuscitent les plus belles heures de Simon & Garfunkel, faisant pleuvoir sur l’auditeur une averse de guitares et de voix mêlées, mélange d’incrédulité et d’inquiétude, d’alarme et d’émerveillement. Lorelai nous emmène valser dans les nuages avant que The shrine / An argument ne déploie huit minutes durant les douleurs de la rupture, passant de la nudité folk initiale à la lente montée free-jazz terminale. L’album se clôt sur un immense Grown ocean, une de ces chansons douloureuses qui révèlent la beauté cuisante du monde, vague tempétueuse et régénératrice qui dessille et fait pleurer d’un même mouvement.
I know someday the smoke will all burn off / All these voices I’ll someday have turned off then / I will see you someday when I’ve woken / I’ll be so happy just to have spoken / I’ll have so much to tell you about it then
Grown ocean
Helplessness blues s’avère au final un disque peut-être plus émouvant que le premier album du groupe de Seattle, moins pur mais davantage piqué aux échardes de la vie, offrant le spectacle d’un homme aux prises avec l’immensité de ce qu’il voit, dans et hors de lui. Pecknold a depuis appuyé sur pause, décidant de reprendre des études de composition musicale pour continuer sans doute de chercher des réponses aux questions qui le taraudent. Le garçon a annoncé que le groupe pourrait prochainement sortir de son silence. On ne manquera pas de souligner pour l’anecdote la présence à la batterie sur cet album d’un certain Josh Tillman, parti poursuivre d’autres aventures sous le nom de Father John Misty.
Wow, c’est superbe.
Des lyrics parmi les plus honnêtes et touchantes de ce que j’ai pu lire depuis un bon bout de temps.