Du diamant sous la cendre
En ce jour de commémoration du dixième anniversaire du 11 septembre 2001, permettez-moi de ressortir de mes cartons ces quelques lignes à propos d’un des plus beaux albums de la dernière décennie, directement né des événements tragiques de ce jour de cendres.
Quand on parle d’Elvis Perkins, on évoque d’abord son passé et les drames qui l’ont marqué. Fils de l’acteur Anthony Perkins – inoubliable interprète du Psychose d’Hitchcock – mort du sida en 1992, Elvis Perkins a la douleur de perdre sa mère, la photographe Berry Berenson le 11 septembre 2001, celle-ci étant à bord d’un des avions jetés ce jour-là contre le World Trade Center. Avec un tel bagage, Elvis Perkins aurait matière à livrer un disque plombé, sombre et sans horizon. Mais s’il est bien question de deuil, il est surtout question ici d’élévation.
Elvis Perkins réussit à séparer la gravité de la pesanteur, à remuer les cendres toujours fumantes de ses tourments pour en faire d’aériennes volutes qui tournoient et montent vers le ciel, sans jamais retomber pour noircir le décor. Sur une base folk, Elvis Perkins greffe avec une finesse infinie une orchestration riche et nuancée, usant de main de maître d’arrangements somptueux de cordes, cuivres et percussions. D’un geste délié et aérien, il compose ainsi une poignée de chansons fabuleuses, capables de hérisser le poil à chaque nouvelle écoute.
Sur l’introductif While you were sleeping, chaque instrument vient s’adjoindre à son tour à la trame mélodique initiale, pour finalement décoller en un final himalayesque de trompettes droit sorties de chez Beirut. Perkins enchaîne ensuite avec le folk inquiet et fiévreux de All the night without love, puis rompt brutalement le ton de l’album avec l’entraînant et brinquebalant May day. Le disque atteint alors d’autres sommets avec le somptueux Moon woman II, morceau bouleversant sur lequel Perkins pose une voix déchirée mais jamais plaintive: “Does anybody have a light? / I’m cold as a stone”. It’s only me est un morceau folk peuplé de cauchemars d’enfant, puis Perkins aligne ensuite la valse cristalline Emile’s Vietnam in the sky, où une bordée de choeurs entonne cette question si aigue: “And do you ever wonder where you go when you die?”. Vient ensuite un nouveau décollage avec l’extraordinaire morceau titre, ce Ash Wednesday, peuplé de fantômes, en référence à ce mercredi 12 septembre où Perkins comme tant d’autres se réveilla hagard devant l’énormité du cataclysme: “No one will survive / Ash Wednesday / No soldier, no lover, no father, no mother, no lonely child”. Sur ce titre, Perkins vient se mesurer au meilleur des formidables et oubliés Spain, en plus incarné, dans un lent balancement sensuel et poignant, enveloppé de lumières d’une beauté incroyable. En fin d’album, notre homme parvient encore à se sublimer avec le foisonnant Sleep sandwich. Sur ce morceau génial, il chante ces paroles: “Someday everyone will know who I am”. On le souhaite vraiment.
Elvis Perkins a fait paraître en 2009 un deuxième album, Elvis Perkins in Dearland qui, malgré quelques (très) bons moments, ne parviendra pas à se hisser au même niveau que ce disque exceptionnel. On ne lui en voudra pas pour autant…
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