Fin et suite
Stephen Malkmus S/T (2001, Matador)
Après avoir été, pendant plus d’une décennie, le co-pilote d’un des plus fantastiques coucous apparus dans le ciel des années 1990 (Pavement, pour celles et ceux qui l’ignoreraient encore), Stephen Malkmus n’allait pas mettre longtemps avant de voler de ses propres ailes.
I’m not what you think I am / I’m the king of Siam / I’ve got a bald head / My name is Yul Brynner / And I am a famous movie star
Jo-jo’s jacket
A l’occasion du dernier concert de l’ultime – et chaotique – tournée de Pavement, Malkmus s’était présenté sur la scène de la Brixton Academy de Londres une paire de menottes aux poignets, censées symboliser ce que représentait à ses yeux le fait de faire partie d’un groupe depuis tant d’années. On pouvait dès lors légitimement s’interroger à l’époque sur la direction musicale que souhaiterait prendre le bonhomme, lui qui nous avait tant habitué aux zigzags et aux loopings au fil des quatre albums de notre groupe fétiche. Est-ce que Malkmus ferait le choix de la rupture stylistique radicale pour résolument laisser derrière lui les derniers mois de cohabitation difficile avec ses ex-compères ? Quand les fans apprirent que ce premier album solo devait s’intituler Swedish reggae, la perplexité put d’ailleurs en gagner plus d’un… Au final, ce disque finalement éponyme allait pleinement s’inscrire dans les traces sinueuses de Pavement. Pour qui savait que le dernier album du groupe, Terror twilight, se composait déjà intégralement de compositions de Malkmus, pas de quoi s’étonner…
Greek gods are communing beneath the Doric arch / And they talk how small we humans are / They drink to Agamemnon, they toast his Pyhrric march / And wait for the sacrifices
Trojan curfew
Stephen Malkmus sonne donc par bien des aspects comme un album de Pavement. On y retrouve ce goût pour les écarts de conduite, ces mélodies qui virent zinzin, cette capacité à faire planer haut un zinc bricolé qui, cinq minutes auparavant, toussotait du moteur et crachait une fumée noire. On y retrouve une chanson hommage à Yul Brynner qu’on sifflotera tant qu’on pourra (Jo-Jo’s jacket) et une merveille bleu nuit droit sortie du magnifique Brighten the corners (Church on white) avec un des plus émouvants solos de guitare délivrés par le sieur Malkmus. Pas de révolution de palais donc, chez l’ancien leader du groupe le plus cool du monde, qui continue d’afficher ce mélange inimitable de nonchalance charmeuse et de brillance bordélique. Pourtant, Stephen Malkmus n’est pas un album de Pavement. Beaucoup d’ingrédients sont là mais manque ce je-ne-sais-quoi qui faisait tout le sel de la musique du groupe : la dynamique collective ? la magie ? un grain de folie ? Scott Kannberg ?
Jennifer dates a man in a ’60s cover band / He’s the Ess-dog, or Sean if you wish / She’s 18, he’s 31 / She’s a rich girl, he’s the son / Of a Coca-Cola middle man
Jenny & the Ess-dog
Qu’on ne se méprenne pas, Stephen Malkmus s’écoute avec beaucoup de plaisir, et je trouve même qu’il tend à se bonifier avec le temps. Malkmus semble par bien des aspects libéré du poids qu’avait fini par constituer pour lui l’appartenance au groupe et il propose ici quelques-unes de chansons les plus joyeusement déconneuses depuis Wowee zowee, de Jo-jo’s jacket au facétieux Phantasies. Le gaillard s’offre même quelques pas de côté par rapport à ce qu’on aurait pu attendre d’un disque de Pavement, entre le roboratif et stonien The hook ou le génial Jenny and the ess-dog, sur lequel il donne à entendre sa facette la plus résolument pop. Deado ou Trojan curfew séduisent dans un registre doucement mélancolique tandis que Black book apparaît comme une version alternative du formidable Cream of gold de Terror twilight. Là où peut-être le bât blesse, c’est avec cette poignée de chansons agréables sans être inoubliables (Vague space, Pink India, Troubble), qui viennent révéler en creux tout ce qu’on aurait voulu avoir, tout ce que Pavement était capable de générer, l’enthousiasme et les frissons.
We’re chasin’ performance and several moods / Chasin’ performance and several moods / Times where easy wages fat / Stumble on inflated stats
Deado
Pas question pour autant d’en vouloir une seconde à Stephen Malkmus, qui s’en sort de surcroît bien mieux que beaucoup d’autres ex-têtes pensantes de groupes majeurs lâchés en territoire solo. On n’oubliera pas que les artistes n’appartiennent pas à leurs fans, qui doivent parfois accepter de les perdre – un peu, beaucoup, complètement – pour leur laisser la liberté de choisir leur voie et leur façon de s’épanouir. J’avoue suivre bien plus en pointillé la carrière post-Pavement de Stephen Malkmus, en solo ou avec les Jicks, mais j’aime à le retrouver régulièrement, le sachant capable de toujours trousser des chansons à garder près de soi. Le dernier album en date du bonhomme, Traditional techniques, est d’ailleurs un très bon cru.