Là-haut
R.E.M. Up (1998, Warner)
Je n’avais pas forcément prévu de continuer avec R.E.M. ce soir et puis finalement, le charme inépuisable de ce onzième album du combo “athénien” m’aura convaincu d’enchaîner.
You want to trust religion / And you know it’s allegory / But the people who are followers / Have written their own story / So you look up to the heavens / And you hope that it’s a spaceship / And it’s something from your childhood / You’re thinking don’t be frightened
Hope
Pour un groupe s’étant toujours efforcé de demeurer en mouvement, la conception de Up constitua sans doute le plus périlleux des carrefours, tant la fin du parcours semblait alors quasiment s’imposer. Une grosse année après la sortie de New adventures in hi-fi, le batteur Bill Berry, socle inébranlable de la force rythmique du groupe, décidait finalement de jeter l’éponge, marqué par la rupture d’anévrisme qui manqua lui être fatale un an et demi plus tôt. Même si Berry insista auprès de ses trois comparses pour qu’ils poursuivent l’aventure, il était difficile d’imaginer comment un collectif aussi soudé que R.E.M. puisse survivre à la perte d’un de ses membres. Le désormais trio entreprit au final d’en sortir par le haut (Up ?) en saisissant à bras le corps l’unique option de se réinventer. Et ce ravalement de façade inclut aussi la fin de la fructueuse collaboration avec le producteur Scott Litt, remplacé ici aux manettes par Pat McCarthy, assisté sur plusieurs morceaux par un certain Nigel Godrich (producteur de Radiohead).
I cried the other night / I can’t even say why / Fluorescent flat caffeine lights / Its furious balancing
Daysleeper
Pas question pour autant de remplacer Bill Berry en embauchant un batteur, le groupe allait relever la gageure de modifier sa formule musicale sans pour autant perdre une identité patiemment bâtie depuis plus de quinze ans. Up se construit en rupture nette avec les aspirations rock de ses deux prédécesseurs pour renouer en partie avec la gravité lumineuse du chef-d’œuvre de R.E.M., Automatic for the people. Mais là où Automatic… faisait le choix de la majesté orchestrale, Up s’aventure sur des territoires électro-pop rarement parcourus par le groupe. Les synthétiseurs remplacent le plus souvent les guitares carillonnantes habituelles et l’ensemble des chansons semble comme flotter dans un halo à la fois brumeux et diapré. Clairement, R.E.M. s’inspire ici des textures mouvantes du Eno fin 70’s et l’introductif Airportman peut certainement être interprété comme un clin d’œil aux Music for airports du sieur Brian. Et sur ces “nouvelles aventures en hi-fi”, le groupe ne manque pas d’ajouter tout ce qui a fait son charme et sa force des années durant : un sens mélodique imparable, une forme de lyrisme humble qui soulève et console à la fois, et nombre des morceaux brillent par cette étonnante capacité à s’affirmer sans forfanterie, à s’élever haut au-dessus de la mêlée sans une once de m’as-tu-vu. Par-dessus le marché, R.E.M. peut aussi compter sur le chant sans pareil de Michael Stipe, marqueur indélébile et compagnon fidèle de notre vie en musique, chant qui atteint sur ce disque une sorte d’acmé dans la pureté et l’expressivité : la figure de proue du groupe d’Athens a-t-elle déjà aussi bien chanté qu’ici ?
Open the window / And lift into a dream / Baby, baby / Baby starts to breathe
Parakeet
Souvent décrié par nombre de fans que le changement de direction du groupe aura perdu en route, Up s’avère à mon sens un R.E.M. (très) grand cru. L’album s’ouvre donc sur un Airportman atmosphérique et se jouera sous les lumières vacillantes des réverbères durant la majorité de ses quatorze morceaux. R.E.M. ne rechigne pas ici à afficher ses influences et à se confronter à quelques-unes de ses idoles : le Eno 70’s en fil rouge mais aussi Leonard Cohen dont il reprend des lignes de Suzanne” sur Hope ou Brian Wilson avec le merveilleux At my most beautiful, hommage céleste aux constructions ascensionnelles des Beach Boys. R.E.M. décline différentes nuances bleu nuit au fil du disque : la suavité fragile de Suspicion, l’intranquillité fiévreuse de You’re in the air ou The apologist. Le morceau le plus rock du lot, Lotus, réussit de son côté à surpasser la plupart des essais du même style qui figuraient sur Monster et, si l’album faiblit un chouïa en son milieu (Sad professor ou Walk unafraid), le groupe soigne comme souvent la conclusion de son album, avec la splendeur de Daysleeper et l’enchaînement de haut vol Parakeet – Falls to climb, final en majesté qui vient ranimer sur l’échine le souffle majestueux de Automatic for the people.
Who cast the final stone ? / Who threw the crushing blow ? / Someone has to take the fall / Why not me ? (Falls to climb)
Sur trois pattes, R.E.M. réussit avec Up à fouler de nouveaux territoires, beaux et accidentés, nébuleux et lumineux. Contraint et forcé par les événements, le groupe laisse en arrière une part de lui-même mais transforme cette perte en opportunité, acceptant de n’être plus comme avant avec la ferme détermination de ceux qui savent qu’il n’est d’autre choix que de continuer.
Merci pour cette chronique ! Je suis de ton avis, “Up” est un grand album, dans mon top 3 des meilleurs albums du groupe tout simplement. J’ai toujours étonné qu’il soit si sous-estimé. “At my most beautiful”, quel chef d’oeuvre…
“J’ai toujours été étonné” Désolé…