Confort moderne
Morcheeba Who can you trust ? (1996, China Records)
En rencontrant Skye Edwards lors d’une soirée en 1995, les frères Godfrey trouvent la pièce manquante du puzzle musical qu’ils essaient alors d’assembler. Naît alors Morcheeba et avec le groupe apparaît une étoile supplémentaire dans la galaxie trip-hop alors en pleine expansion, à la suite du big-bang originel produit par les fondateurs Massive Attack, Tricky et Portishead. Basé à Londres et non à Bristol comme ses prestigieux aînés, Morcheeba témoigne à merveille du large éventail de styles et d’influences alors un peu trop génériquement recouvert par l’étiquette trip-hop. Et si j’avoue avoir craint que le son de ce Who can you trust ? n’ait quelque peu pâti du passage du temps, je constate avec bonheur que le charme languide du groupe opère encore très bien.
The music that we make will heal all our mistakes / And lead us / The music that we hear is always standing near to feed us
Moog Island
Avec la musique de Morcheeba, apprêtez-vous à pénétrer un monde où “tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté”, comme l’écrivait un certain. Tout semble ici fait pour passer un baume apaisant sur les nerfs de l’auditeur, l’invitant à s’installer bien confortablement dans un univers douillet, et à se laisser chaudement envahir par les volutes psychotropes de cette musique. Mais si Morcheeba joue l’apaisement, il n’est en rien un simple producteur de tisane sans saveur. Et quand on aura précisé que “Morcheeba” peut grosso modo se traduire par “plus de beuh”, on comprendra que l’effet de la musique du groupe sur les sens est inévitablement troublant.
Things have changed this time around / I’m on the rocks and looking down / And I can’t see for all the darkness ’round here
Col
Si Morcheeba s’inscrit clairement dans une “filiation” trip-hop (cf. le rôle des boucles et des scratches), il affiche des influences 60’s-70’s marquées, allant piocher du côté de la soul, du pop-rock psychédélique (cf. les feulements de guitare wah-wah sur l’irrésistible Tape loop) et des musiques de film. Les claviers Moog ou Hammond se mêlent aux guitares pour créer des paysages planants traversés de senteurs reggae (Never an easy way ou le gargantuesque Who can you trust ?). A toutes ses qualités musicales, Morcheeba ajoute un atout maître avec le chant sans pareil de Skye Edwards, cette voix lascive toute de suave retenue, à faire disparaître sous terre tous ceux qui croient encore que The Voice pourrait révéler des chanteurs.
Tears run down my face / As you spray me with your mace / I thank you / I’d like to cut your throat / You’ll never sing a note
Almost done
L’album brille en tous cas d’une remarquable cohérence et son apparente absence de reliefs n’empêche pas les vertiges. Les morceaux se déploient, lents et vénéneux, capiteux et élégants, tels les formidables Tape loop, Small town ou Trigger hippie. De lourds nuages noirs s’amoncèlent au-dessus du magnifique “Howling” et le groupe sort complètement des rails trip-hop avec le prodigieux et bouleversant Col, sur lequel une nuée de cordes et de cuivres viennent entourer la voix de Skye Edwards, comme un hommage réussi du groupe à l’intouchable Nick Drake. Les instrumentaux Post houmous et End theme sont eux autant de clins d’œil aux BO jazzy de Lalo Schiffrin.
You’d think I learn by now / There’s never an easy way / I get through someday / I’m on my knees to pray
Never an easy way
Près de vingt ans après, ce Who can you trust ? continue en tous cas de figurer parmi les belles réussites d’un mouvement trip-hop comptant son lot d’authentiques génies mais aussi de simples suiveurs. Le groupe commencera à prendre ses distances avec le trip-hop sur son album suivant tout en réussissant à monter encore son niveau, avec le génial Big calm sur lequel je reviendrai certainement un de ces jours. La suite de l’aventure fut plus chaotique, avec notamment le départ de Skye Edwards en 2003 et son retour en 2010. Mais j’avoue avoir lâché l’affaire après leur Charango de 2002.
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[…] avec ses chansons belles et émollientes, dans la lignée de son très réussi premier album, ce Who can you trust ? dont il fut question dans ces […]