Toujours verts
R.E.M. Green (1988, Warner)
Après Document la semaine dernière, je n’avais pas forcément prévu de poursuivre ce soir avec R.E.M. et puis, finalement, une chose en entraînant une autre, me voici à continuer de remonter la riche discographie du quatuor d’Athens, au risque de paraître un brin obsessionnel.
I sit at my table and wage war on myself / It seems like it’s all… it’s all for nothing / I know the barricades, and / I know the mortar in the wall breaks / I recognize the weapons, I used them well
World leader pretend
Suite au succès de Document, on pouvait prévoir que les choses allaient changer pour la bande à Michael Stipe : ce fut bien le cas. Avec Green, R.E.M. laisse derrière lui l’univers du rock-indé dont il avait été un si reconnu et valeureux porte-étendard. Il le fait déjà de la façon la plus prosaïque et anti-romantique qui soit, en rompant avec son label de toujours, I.R.S., pour s’en aller signer chez une major un contrat lucratif lui assurant également une totale indépendance artistique. Beaucoup chez les puristes s’étouffaient déjà ; le contenu musical de Green n’allait pas arranger les choses auprès de celles et ceux qui traitaient alors le groupe de “vendu”. D’un point de vue commercial, la réussite fut totale et Green surpassa les ventes déjà conséquentes réalisées par Document. D’un point de vue artistique, on pourrait en revanche considérer que cet album fut à sa sortie le moins bon disque du combo, le premier à moitié raté. Mais R.E.M. allait démontrer par la même occasion qu’il était capable de demeurer passionnant même dans ses moments faibles, nous poussant à voir Green plutôt comme un album à demi réussi.
I will try to sing a happy song / I’ll try and make a happy game to play
The wrong child
A bien des points de vue, Green représente une rupture dans le parcours de R.E.M. Premier album paru sur une major, il donne à voir un groupe avide de se renouveler, de changer ses habitudes sous peine d’étouffer et de perdre tout contrôle sur sa musique. Au cours de l’enregistrement, les musiciens échangent leurs instruments, se forcent à sortir de leurs rôles attitrés depuis des années au sein du groupe. Peter Buck sort pour la première fois sa mandoline, celle qu’on entendra sur Losing my religion et qui deviendra aussi à son corps défendant une sorte de signature de la musique du groupe pendant quelque temps. R.E.M. rebat ses cartes, se reconfigure, esquisse certaines des trajectoires qu’il empruntera plus tard.
I am not the type of dog / That could keep you waiting / For no good reason / Run a carbon-black test on my jaw / And you will find it’s all been said before
Hairshirt
En jouant ce jeu, R.E.M. accepte de déstabiliser son univers et Green est sans aucun doute l’album le plus dépareillé, le plus disparate du groupe depuis ses débuts. Ce déséquilibre apparaît plus ou moins maîtrisé et on trouve ici quelques chansons surprenantes, qui jurent un peu par rapport aux standards habituels du groupe. On se demande ainsi toujours quel intérêt peuvent avoir ces Stand ou ces Get up, sans âme et d’une étrange jovialité ? Turn you inside-out montre pour la première fois un R.E.M. lourdaud et même l’efficacité indéniable de l’introductif Pop song 89 ne parvient pas à masquer son côté surjoué, un manque de profondeur rédhibitoire chez un groupe aussi intègre et fervent jusque-là. Mais à côté de ces rogatons, R.E.M. place une poignée de morceaux de très haute volée, quelques-uns parmi les plus marquants de tout son répertoire. C’est par exemple le génial World leader pretend, chef-d’œuvre de country-folk intranquille sur lequel violoncelle et pedal-steel tressent un tapis de velours somptueux au chant de Michael Stipe. Accessoirement, ce morceau sera le premier à voir ses paroles figurer sur le livret du disque. Impossible de passer sous silence la beauté vibrante de The wrong child, sorte de palais des glaces dans lequel l’auditeur évolue comme en apesanteur, désorienté et ébouriffé. A côté de ces deux sommets, Orange crush parvient à tirer son épingle du jeu par sa ferveur rageuse tandis que la superbe ballade Hairshirt pourrait passer pour un prequel annonciateur de la grâce sans nom du futur Automatic for the people. Le disque se conclut en enchaînant la gravité orageuse de I remember California avec la pop plus légère d’un morceau sans titre, comme pour confirmer l’image d’un groupe entre deux eaux, en quête de lui-même.
I look at her and I see the beauty / Of the light of music
You are my everything
Si Green n’est certes pas le meilleur opus de R.E.M., il n’en constitue pas moins un jalon d’importance dans sa discographie. Il est d’ailleurs assez fascinant de voir le groupe réagir à la déstabilisation que n’aura pas manqué de provoquer sa nouvelle notoriété par une volonté assumée de dérégler son ordonnancement habituel, de sortir de ses habitudes. Sans jouer les têtes brûlées pour autant (R.E.M. n’est pas un groupe furieusement explorateur), le groupe confirmait qu’il n’était pas non plus du genre à s’enfermer dans un surplace mortifère. Le public suivra mais plus important, R.E.M. continuait d’avancer : toujours vert finalement.
2 réponses
[…] la première fois, R.E.M. – enfin « installé » suite au succès de Green – aura pris le temps pour enregistrer un album. Alors que le groupe avait enchaîné ses 6 […]
[…] Le groupe vient d’aligner coup sur coup trois albums au succès chaque fois grandissant : Green, Out of time et Automatic for the people (pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi) , le […]