L’inconnu de San Francisco
Mark Eitzel 60 watt silver lining (1996, Virgin)
Voilà des années que Mark Eitzel traîne sa musique de bars en scènes. Après d’obscurs débuts dans des groupes punk mineurs au début des années 1980, Eitzel fonde American Music Club en 1983 avec lequel il enregistre sept albums jusqu’en 1994. Malgré un premier effort solo en 1991 (Songs of love), c’est ce 60 watt silver lining qui marque véritablement les débuts de sa carrière solo. C’est avec ce disque également que notre homme a le plus ressenti les frémissements du succès. En tous cas, c’est de celui-là dont j’ai le plus entendu parler au moment de sa sortie, étant entendu que la situation ne semble pas s’être vraiment arrangée pour Eitzel vu le quasi-anonymat dans lequel est sorti son Klamath de 2009.
Dans la lignée des meilleurs morceaux d’American Music Club, Mark Eitzel se situait avec cet album dans cette mouvance melancountry, au creux de cette vague d’Américains aux chansons tristes qui sublima la production pop-rock au mitan des années 1990. Le Californien aligne ici douze titres proprement sublimes, mêlant jazz, soul et musique folk, et se déployant en volutes capiteuses pour nous atteindre droit au cœur. Jouant à merveille de l’espace et du temps, ces chansons nous racontent les états d’âme d’un homme mûr, sans illusions, souvent à genoux mais gardant la tête haute malgré les défaites. Mark Eitzel nous parle de solitude, d’amours compliquées, de désenchantement mais ses peines font écho aux nôtres et nous réconfortent. On aurait tort cependant de redouter un disque pleurnicheur, tant Eitzel prend soin de ne jamais éteindre la lumière. Il la tamise, la module, y fait danser des ombres sans jamais se perdre dans l’obscurité qui l’entoure. Fervent et vibrant malgré ses limites, son chant se fait incroyablement pénétrant et accompagne des textes formidables.
Parmi les hauts faits de ce disque qui n’en est pas avare, on retiendra la magnifique déambulation de Sacred heart, version crève-cœur d’ Un Américain à Paris (« Track me down and I’ll give you / My pomegranate heart / My throwaway heart ») ou la foi d’airain du gigantesque Saved, torch-song impressionnante rehaussée par la trompette magique de Mark Isham. Sur des titres comme Aspirin ou Wild sea, Eitzel semble se laisser peu à peu déborder par l’émotion, une houle de joie et de détresse mêlées venant faire chavirer le tout pour nous laisser bouche bée. On croirait voir une larme perler au coin de sa voix. On ne manquera pas de mentionner le somptueux Everything is beautiful qui vient se consumer en fin de parcours, et dont la lueur s’amenuise peu à peu sans que la chaleur ne disparaisse complètement. En écoutant ce disque, je me remémore qu’à 20 ans (l’âge que j’avais quand ce disque est sorti), je trouvais dans la musique une résonance, quelque chose qui me disait que je n’étais pas seul, et qu’on pouvait transmuer en beauté ce que je ressentais au fond de moi sans parvenir à l’exprimer. Un espace où projeter des choses en en recevant en retour. Tout cela n’a guère changé.
Mark Eitzel a enchaîné depuis près d’une dizaine d’albums que je n’ai que peu fréquenté je l’avoue avec un peu de honte. Le dernier en date se nomme Klamath et est sorti en 2009. J’ai aussi découvert que le monsieur tenait lui aussi un blog à découvrir ici.
2 réponses
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Anne-Sophie Pascal, Frédéric D.. Frédéric D. a dit: L’inconnu de San Francisco » La discothèque de lamateur http://t.co/JZDRzn7 […]
[…] dans quelques semaines, vous pourriez y voir apparaître de sérieux prétendants comme le 60 watt silver lining de Mark Eitzel, les formidables premiers albums de Richard Davies et Jeremy Enigk ou le glaçant […]