Un homme singulier

Sébastien Tellier L’incroyable vérité (2001, Record Makers)

Sébastien Tellier - L'incroyable vérité

Il est sans doute facile de ne garder qu’une image superficielle de Sébastien Tellier, de ne retenir du cours d’une carrière riche de huit albums étalés sur maintenant quinze ans que le souvenir d’incarnations diverses plus ou moins excentriques. Tour à tour candidat contesté à l’Eurovision, chamane érotomane ordonnateur d’un culte aux dieux du sexe, bon client des talk-shows télé ou grand enfant naïf capable de consacrer une chanson entière (très bonne au demeurant) à son nounours d’enfance, il faut dire que le garçon s’y entend pour brouiller les pistes et dérouter les suiveurs. Un retour à la production discographique du bonhomme permettra d’aisément recentrer le débat et de constater à quel point celle-ci est constellée de choses tout à fait remarquables, à commencer par cet inaugural L’incroyable vérité qui marquait l’arrivée sous les projecteurs de ce mystérieux Mister Tellier.

Put time in a capsule / Two minds consensual / Entwined to perfection, If we could…

Universe

Né à Paris il y a un peu plus de quarante ans, Sébastien Tellier est d’abord remarqué par le label Sources pour une de ses compilations avant de pouvoir enregistrer ce premier album hors normes dans le paysage musical français. Essentiellement instrumental, ce disque flottant évoque les œuvres de grands affranchis de la pop, de Robert Wyatt au Pink Floyd 70’s en passant par Air, Christophe ou Pascal Comelade. Recommandant dans les notes de pochette d’écouter son disque à la lueur de la bougie, Sébastien Tellier – vêtu comme un dandy décadent sur la photo ornant son album – livre ici un disque aventureux, nimbé de mélancolie floue que vient sans cesse rehausser une fantaisie épatante et subtile. Autour d’une instrumentation largement axée sur les claviers (piano en tête) et la guitare, Sébastien Tellier nous propose une déambulation nostalgique sur une grille d’accords répétée en boucle, un thème répétitif qui donne une drôle d’articulation mouvante à l’ensemble.

I would lay down my fears / Just to spend my years with you / Cause when I’m standing at your door / I don’t feel homesick anymore / When I’m standing at your door / I dont feel homesick anymore

Kissed by you

L’introductif Oh malheur chez O’Malley crée d’emblée une atmosphère plutôt anxiogène avec son piano endiablé surligné de synthés stridents et d’un chœur en panique. La tension retombe ensuite le temps d’une ballade brinquebalante, Kazoo III qui rappelle fortement les beaux tangages d’un Pascal Comelade. On retrouve sur l’ensemble du disque cette alternance entre tensions et relâchements, comme si Tellier prenait plaisir à cacher derrière le charme de mélodies cotonneuses des chausse-trapes et des embuscades ; le cri d’effroi poussé par une voix féminine sur Trilogie femme et qui vient déchirer le paysage étale du morceau en constitue l’exemple parfait. Si l’album est majoritairement instrumental, la voix de Sébastien Tellier apparaît parfois derrière la brume, souvent déformée par les effets sonores comme sur le magnifique Universe. Sur Kissed by you, le bonhomme prend des airs de David Gilmour puis vient exploser sa léthargie floydienne d’un mur de larsens digne de Sonic Youth. Parmi les sommets du disque, on ne manquera pas de mentionner cette somptueuse trilogie autour du chien (!) – L’enfance d’un chien / Une vie de papa / Fin chien – qui alterne là encore la mélancolie et le loufoque, Tellier plaçant des sifflements et des aboiements au beau milieu d’une mélodie superlative et d’arrangements brillants, sans que cet ajout ne vienne troubler le moins du monde la beauté de la chose.  Le rêveur Fantino fera le bonheur de la bande-son du formidable Lost in translation de Sofia Coppola et l’album se conclut sur un essai de soul décalée, ce Black douleur mené toutes trompettes dehors par un Tellier maître de ses effets.

Avec cette Incroyable vérité, Sébastien Tellier se plaçait déjà en électron libre de la pop française. Il s’évertuera par la suite à sans cesse se réinventer, au fil de ses fantaisies et de ses lubies, avec plus ou moins de bonheur et au risque (assumé sans doute) de perdre son auditeur en route de temps à autre. Il n’en demeure pas moins un étonnant voyageur de la chanson d’ici, un homme singulier au parcours atypique et diablement intrigant.

Un commentaire sur « Un homme singulier »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *