Les Kills en 10 morceaux
L’aventure musicale des Kills débuta à l’aube de ce siècle par une forme pour le moins artisanale de peer-to-peer : l’Anglais Jamie Hince (aka Hotel) et l’Américaine Alison Mosshart (alias VV) commencèrent par échanger des idées de morceaux par la poste transatlantique, avant que la Floridienne ne se décide à prendre l’avion pour donner corps à cette alchimie naissante. Débarqués pile au bon moment, dans le sillage du “retour du rock” initié par les Strokes, les Libertines et autres White Stripes, le duo allait incarner avec un vrai talent et une légère dose de rouerie un rock stylé et sexy, brut et furieusement sensuel. Comme les White Stripes, les Kills affichaient leur goût pour le blues des origines et allaient eux aussi se bâtir une imagerie marquante. Mais alors que la paire de White plongeait son blues-rock dans un chaudron fumant où punk, garage, pop et volutes psychédéliques se mêlaient, les Kills se référaient plutôt à la fièvre sauvage du Velvet Underground, des Stooges ou des Cramps. Après deux premiers albums brûlants, le groupe introduisit dans sa musique davantage de souplesse et d’immédiateté pop. S’il ne retrouva jamais vraiment la tension farouche de ses deux premiers opus, le duo se révéla suffisamment intelligent pour demeurer pertinent et livrer des disques toujours attendus avec intérêt, sans que son statut d’icône rock pour pub Calvin Klein ne le disqualifie outre-mesure. Alors que vient de paraître un cinquième opus dont il faudra encore quelque temps pour tirer la substantifique moelle, voici une sélection toute personnelle de 10 morceaux phares piochés dans la discographie du groupe. Malgré la supériorité évidente à mes yeux de Keep on your mean side et No wow, cette playlist s’avère en fait assez représentative des différents atouts musicaux du groupe puisque 3 titres sont extraits de Midnight boom et 1 de Blood pressures.
- Superstition (2003, Keep on your mean side)
Placé en ouverture du premier album du groupe, Superstition constitue à coup sûr un morceau emblématique du son originel des Kills avec ce riff répétitif et brûlant sur lequel vient feuler la féline Alison. Une rythmique synthétique étique vient accentuer la noirceur efflanquée de l’ensemble et l’auditeur saisi au col voit sa température déjà monter de plusieurs degrés. Une bouffée de chaleur qui en appellera d’autres.
- Fuck the people (2003, Keep on your mean side)
Autre titre emblématique du groupe, Fuck the people est une espèce de cavalcade furieuse, qui évoquerait quelque chose comme la rencontre des Stones 1968 et du rock en cuir des Black Rebel Motorcycle Club. Le duo démontre aussi en usant d’un titre pareil qu’il ne craint pas les clichés et s’installe sur cette ligne ténue qu’il ne cessera d’occuper entre authenticité et artificialité, sincérité et savante construction de son image.
- Black rooster (2003, Keep on your mean side)
Autre cavalcade sentant le pneu roussi et le charbon ardent, Black rooster figure un authentique combat de coq entre le garçon et la fille, dont les voix se répondent pour un sommet de tension érotique. On a toujours préféré les morceaux où Jamie Hince chantait : écoutez Black rooster et vous comprendrez pourquoi.
- No wow (2005, No wow)
Avec No wow, les Kills réalisaient l’exploit de surpasser leur pourtant excellent premier opus. Le groupe porte sa formule à incandescence, dénudant sa musique pour donner à entendre des sommets de sécheresse et de fièvre. No wow agit sur l’auditeur comme une décharge électrique et fait monter la tension sexuelle d’un cran, s’ouvrant sur cet inoubliable incipit incendiaire : “You’re gonna have to step over my dead body / Before you walk out that door”. Le groupe ne fera pas de prisonniers.
- The good ones (2005, No wow)
No wow foudroie et électrise, nous sommes d’accord mais No wow donne aussi à entendre un groupe plus subtil qu’on pourrait le croire et qui entend bien ne pas se réduire à une formule raccord avec son image de rockers rebelles pour papier glacé. La boîte à rythmes fait par exemple pleinement son office sur cet épatant The good ones, hypnotique et dansant comme les Cramps reprenant Moroder.
- Murdermile (2005, No wow)
Autre sommet électrisant de No wow, Murdermile aligne les meilleurs atouts des Kills : riffs charbonneux, rythmique minimaliste implacable, expressivité rageuse du chant de VV et contrepoint tendu de la voix de Hotel. Du cuir et des épices, du style et du goût.
- Last day of magic (2008, Midnight boom)
Midnight boom marque un évident virage pop pour le duo. Et comme le laissaient présager les titres les plus dansants de No wow, le groupe se révèle capable de choses étonnantes, tel ce Last day of magic qui clignote et virevolte comme un manège d’auto-tamponneuses. Les Kills ont quitté l’asphalte des boulevards pour envahir la fête foraine mais les lumières brillent toujours d’un éclat sauvage et attirant.
- What New York used to be (2008, Midnight boom)
Dans le même registre euphorisant que Last day of magic, cette ode à la frénésie de la ville qui ne dort jamais dégage bien plus d’excitation que de nostalgie, feu de joie roboratif qui entretient lui-même la flamme dont il craint l’extinction.
- Good night, bad morning (2008, Midnight boom)
Si le groupe n’excelle pas forcément dans les ballades, il place en fin de Midnight boom cette vraie réussite toute en acoustique alanguie. La guitare et la voix de nos deux protagonistes semblent avoir la gueule de bois et le goût du tabac froid en bouche. La fête est finie, il est l’heure de rentrer et quelques notes de piano en suspension nous accompagneront jusqu’à notre porte.
- Future starts slow (2011, Blood pressures)
Les Kills ont souvent montré un vrai talent pour le choix de leurs chansons d’ouverture. Blood pressures n’est pas un mauvais disque, loin de là mais sans réelle surprise. Figure cependant d’entrée ce morceau feu d’artifice, sur lequel la guitare acérée de Jamie Hince trace des fulgurances pop d’une efficacité redoutable tandis qu’ Alison Mosshart tient la scène avec sa prestance et sa présence habituelles.
Sans être forcément le groupe le plus essentiel de son époque, les Kills se sont construits au fil des années une discographie consistante et ont su alimenter avec talent l’éternelle machine à fantasmes rock sans se contenter de dupliquer ad libitum une formule éprouvée. J’essaierai de vous donner des nouvelles prochainement de ce Ash & ice et d’aller écouter par moi-même si le groupe poursuit dignement son électrique bonhomme de chemin.