Une fièvre impossible à négocier
The Last Shadow Puppets The age of the understatement (2008, Domino)
Favourite worst nightmare, le précédent album commis par Alex Turner avec ses Arctic Monkeys un an plus tôt se terminait par 505, extraordinaire morceau épique et dramatique, animé d’un souffle renversant et qui mettait une remarquable touche finale à un disque très réussi. Avec quelques années de recul et l’écoute dans le désordre de la production du sieur Turner, il me semble difficile de ne pas voir dans cette chanson fiévreuse les prémices de ce ravageur Age of the understatement.
I can still remember / When your city smelt exciting / I still get a whiff / Of that aroma now and then / Burglary and fireworks / The skies they were alighting / Accidents and toffee drops / And thinking on the train
Calm like you
Devenus amis pour avoir tourné ensemble avec leurs groupes respectifs – Arctic Monkeys pour le premier, The Little Flames puis The Rascals pour le second – Alex Turner et Miles Kane commencent à composer ensemble en ayant en tête la pop orchestrale et ambitieuse de Scott Walker, Love ou du Bowie du début des années 1970. Le pari semblait osé pour ces deux gandins anglais, avec leurs airs de petites frappes bravaches et bagarreuses, dont on imaginait mal les doigts tâchés de fish and chips pouvoir élaborer les merveilleuses étoffes de ce disque somptueux. Avec l’aide du producteur attitré des Monkeys, James Ford, et surtout, l’apport déterminant du génial Owen Pallett pour les arrangements, les Last Shadow Puppets vont réussir leur coup dans des proportions insoupçonnées. Car c’est bien onze chansons magistrales qui sont alignées ici, brûlantes et magnifiques, portées tout du long par une fièvre impressionnante. Comme leurs merveilleux compatriotes de The Coral, les Last Shadow Puppets parviennent à jouer une musique qu’on dira – faute de mieux – “stylistiquement datée” en demeurant résolument de leur temps, allant se coltiner à des références qui en écraseraient plus d’un avec un talent et une fraîcheur réjouissants sans jamais paraître passéistes.
When we walked the streets together / All the faces seemed to smile back / And now the pavements have nothing to offer / And all the faces seem to need a slap
Separate and ever deadly
L’album s’ouvre ainsi sur un carré exceptionnel, qui laissera tout auditeur doté d’oreilles en ordre de marche essoufflé et éperdu. Entre la cavalerie hors d’haleine de The age of the understatement, la valse étourdissante de Calm like you, la dramaturgie infernale de Separate and ever deadly et la maestria de Standing next to me, on ne sait véritablement plus où donner de la tête. Turner et Kane dévalent leurs chansons bille en tête, leurs deux voix se mariant parfaitement pour donner corps aux arrangements sidérants de Pallett joués par le London Metropolitan Orchestra. Car on ne peut pas passer ici sous silence la force du travail réalisé par l’arrangeur, véritable troisième membre du groupe, dont les cordes viennent tantôt dessiner crevasses et sommets vertigineux, tantôt tisser de somptueuses draperies, comme sur le splendide My mistakes were made for you. Force est de constater que le groupe se montre à la hauteur de ses prestigieux modèles, évoquant tour à tour Love et Scott Walker, Bacharach et les Tindersticks, Gainsbourg et John Barry, tous ces artistes qui n’ont pas eu peur de se saisir des potentialités infinies offertes par les instruments d’orchestre pour soulever la pop et la porter vers des territoires où tout bat plus vite, tout vibre plus fort. Et si l’ensemble du disque n’est pas intégralement à la hauteur des quatre premiers morceaux, il n’en demeure pas moins d’un niveau extrêmement élevé. Il en va ainsi de cet Only the truth exalté ou de ce I don’t like you anymore postillonnant comme un morceau des Arctic Monkeys. Même quand Turner et Kane ralentissent le tempo (The chamber, My mistakes were made for you ou l’emballant The meeting place), la fièvre semble toujours habiter leur musique et lui confère une urgence abrasive impressionnante, et c’est cette surtension impétueuse qui fait tout le charme brûlant de ce disque. The age of the understatement , “l’art de la litote”, on comprendra vite après l’écoute de ces chansons audacieuses et impatientes, que le titre était une antiphrase et que les Last Shadow Puppets étaient décidément à l’aise avec les figures de style.
And it’s the fame that put words in her mouth / She couldn’t help but spit them out / Innocence and arrogance entwined / In the filthiest of minds
My mistakes were made for you
The age of the understatement demeure – et demeurera peut-être – pour l’heure l’œuvre unique réalisée ensemble par Alex Turner et Miles Kane. Chacun mène depuis sa carrière à lui, le premier davantage dans la lumière avec ses excellents Arctic Monkeys, le second un peu plus dans l’ombre. On aura certainement l’occasion de les recroiser par ici.
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