L’instant norvégien
Thomas Dybdahl One day you’ll dance for me, New York City (2004, Checkpoint Charlie)
Pour respirer un peu et échapper un instant aux pesanteurs de tous ordres qui s’abattent ces jours sur nos épaules, je vous proposerai volontiers de tourner vos regards (et vos oreilles) du côté du grand Nord, de la Norvège pour être précis. Et quand vous apprendrez à votre tour que ce disque atteignit là-bas en son temps la première place des hit-parades, ainsi que tous les autres albums du sieur Dybdahl depuis, nul doute que l’envie d’aller faire tamponner votre passeport du côté d’Oslo ou de Trondheim ne vous quittera plus.
Fall asleep now, New York City / I need to rest my eyes / Someday I’ll rise, New York City / One day you’ll dance for me
One day you’ll dance for me, New York City
A vrai dire, depuis le début de ce siècle, les nouvelles musicales en provenance de Scandinavie ont souvent été excellentes et on a ainsi accueilli successivement à bras ouverts les Suédois José Gonzalez ou Loney, Dear comme les Norvégiens de Kings of Convenience. J’avais repéré pour ma part Thomas Dybdahl avec son magnifique quatrième album studio, Science (2006) et j’avais initialement prévu de vous en parler. Puis, ayant manqué les épisodes précédents, j’entrepris tout récemment d’aller jeter une oreille sur les productions antérieures du bonhomme. Ma curiosité depuis longtemps piquée par ce titre d’album sublime, défi et promesse adressés à une ville mille fois fantasmée, j’allais voir si l’intérieur valait le frontispice. Je ne fus pas déçu.
Honey I told you / That these things never last / And one of these days now / You’ll start dreaming of the past
A lovestory
Troisième volet d’un triptyque dédié (et enregistré) à New York, One day you’ll dance… abrite une musique boisée et noctambule, redevable autant de l’alchimie folk d’un Nick Drake que des soieries de la soul la plus lascive, évoquant autant les grands espaces de l’Americana du Band que les clairières sylvestres. On pense beaucoup aux premières heures de Piers Faccini pour cette impression de légèreté, cette grâce qui émane de morceaux comme A lovestory ou If we want it, it’s right. On pense aussi parfois au premier album de Spain pour cette façon de dilater l’espace à l’intérieur des chansons, mais un Spain plus pop, qui évoluerait dans des formats plus conventionnels. Dybdahl partage d’ailleurs avec le groupe de Josh Haden ces évidentes influences jazz, scintillantes sur le morceau-titre introductif.
Now maybe everything we do is wrong / A simple story turns into a song
If we want it, it’s right
En moins de quarante minutes, Dybdahl distille un poison doux extrêmement addictif, inoculé autant par la chaleur de la dominante acoustique retenue que par son chant suave et légèrement éraillé qui relève le goût des chansons d’une délicate touche poivre et sel. Le garçon place ses meilleurs atouts en début d’album avec ce formidable morceau en clair-obscur qu’est One day you’ll dance for me, New York City. If you want it, it’s right et surtout le merveilleux A lovestory – pour le coup très Nick Drake – affichent ensuite leur grâce aérienne, leur noble majesté. Dybdahl se révèle par ailleurs aussi brillant dans le dépouillement d’un It’s always been you Satie-esque que dans les arrangements voluptueux qui remplissent peu à peu Solitude. Et tandis que Babe déploie une solennité presque religieuse, Henry – interprété en duo avec la dénommée Silje Salomonsen – brille d’une clarté cristalline, comme les notes du piano qui joue la mélodie et qu’on retrouve en conclusion du dernier morceau Piece, pour un coda instrumental à la mélancolie sereine.
Sing out Henry, the world is in your voice / It might not be far from the truth / You might not make it, you know how hard it is / But oh how you’ll make the world shine / With just one song at a time
Henry
En ces heures sombres, la musique de Thomas Dybdahl – comme celle de centaines d’autres – constitue un havre apaisant de plus, un précieux “instant norvégien” capable de révéler un infini de beautés au gré de quelques notes. Le monsieur continue d’être une star en Norvège (on leur refilerait bien Christophe Maé à la place) et a depuis fait paraître trois autres albums si mes sources sont exactes.
Que c’est beau.
Il y a un bel éclectisme dans les instrus et les rythmes, mais sa voix fait tout graviter dans un même univers. C’est vraiment fort.