Le bon grain et l’ivresse
The Feelies The good earth (1986, Coyote)
Il aura fallu pas moins de six ans aux Feelies pour donner une suite à leur exceptionnel premier album, ce Crazy rhythms dont j’ai déjà eu l’occasion de chanter les louanges dans ces colonnes. En bisbille avec son label qui espérait davantage de retombées sonnantes et trébuchantes de son premier opus, le groupe se met rapidement entre parenthèses. Après que deux de ses membres ont décidé très vite de voguer vers d’autres aventures, Bill Million et Glenn Mercer, les têtes pensantes du groupe, semblent à leur tour vouloir passer à autre chose, multipliant les expériences parallèles, entre groupes éphémères et bandes originales de films. L’aura et l’influence de Crazy rhythms ne cessent néanmoins de grandir au fil des ans, notamment auprès de tout un pan de la scène underground américaine. C’est d’un de leurs admirateurs les plus fervents que va alors venir la nouvelle chance des Feelies, en la personne de Peter Buck, guitariste et mélodiste en chef de R.E.M. Celui-ci prend en charge la production du nouvel album du groupe, désormais reconfiguré en quintet avec une toute nouvelle section rythmique, et contribue ainsi à la naissance de ce The good earth qui voit le jour en 1986.
Avec The good earth, les Feelies relèvent une drôle de gageure : renouveler leur langage sans perdre le sel de leur identité. Sur ce disque lumineux, le groupe semble transporter toute la tension urbaine de son premier album à la campagne, forçant sa musique à respirer le bon air pour en retirer le bon grain et l’ivresse. Car c’est bien une sorte de griserie que procurent ces entrelacs d’arpèges, ces rythmiques légères et sans collier, ces lignes de chant qui semblent se fondre dans les mélodies des morceaux pour ne plus vraiment se distinguer des instruments eux-mêmes.En un mot, l’ensemble des éléments qui constituait la force et la beauté singulières de Crazy rhythms se retrouve ici, mais comme dépaysé. Si toute la tension nerveuse qui habitait leur premier opus n’est pas complètement éteinte et rejaillit par endroits en gerbes imposantes (comme le final de haut vol de l’extraordinaire Slipping (into something) ), les Feelies semblent expérimenter ici les vertus du relâchement, par la grâce d’un savant mélange entre acoustique et électrique qui fait briller la majorité de ces chansons d’un éclat inaltérable.
Parmi les hauts faits de ce disque qui n’en manque pas, on retiendra d’abord le velvétien Slipping (into something), dont le crescendo conduit vers un final de derviche tourneur, extraordinaire moment de furie et d’élévation. Cette alternance d’à-plats et d’accélérations nourrit également l’introductif On the roof ou l’excellent morceau-titre tandis que The high road s’habille de couleurs folk-pop que n’auraient pas renié les magnifiques Go-Betweens. Cette tonalité folk se retrouve sur l’habité When company comes et se mêle d’exotisme sur le printanier Let’s go. Le disque se conclut par l’onirisme contemplatif de Slow down qui fait se demander à l’auditeur quel étrange pays il vient de traverser durant la dernière demie heure. Une bonne terre assurément…
L’activité discographique des Feelies se fera un temps plus régulière avec la parution de Only life en 1988 puis de Time for a witness en 1991. Puis le groupe semblera mettre définitivement la clé sous la porte avant un retour aussi inattendu que célébré en 2011 avec l’album Here before.
3 réponses
[…] les premières heures cotonneuses de R.E.M. ou les Feelies bucoliques de l’intouchable The good earth, comme sur l’impeccable « Wonder years ». Et bien qu’hors des […]
[…] membre menant ses propres aventures au fil des années suivantes. Ils reviendront en 1986 avec The good earth puis ce sera Only life en 1988 et Time for a witness en 1991, dernier effort discographique […]
[…] les tempêtes soniques de My Bloody Valentine (« White ») et les airs bucoliques des Feelies de The good earth (« Everything about you »). Le résultat s’avère parfois charmant (« This love is not […]