Bain de minuit
Baden Baden Mille éclairs (2015, Naïve)
Pas vraiment raccord avec l’actualité musicale la plus fraîche, me voici de nouveau à écrire – après Father John Misty la semaine dernière – sur un album de 2015 dont les lumières nocturnes m’accompagnent depuis déjà quelques mois.
Je connais les couleurs qui se marient à toi / J’ai juré sur l’honneur tout des milliers de fois / J’ai plongé dans le bruit pour oublier tout ça
J’ai plongé dans le bruit
Les trois gars de Baden Baden – Eric Javelle, Julien Lardé et Gabriel Vigne – se font connaître en 2010 avec un premier EP, Anyone, suivi d’un album à côté duquel j’étais à l’époque complètement passé, Coline, en 2012. J’ai depuis rattrapé mon retard en écoutant ce très bon premier opus mais le trio me semble avoir franchi un vrai palier avec cet épatant Mille éclairs paru en début d’année passée. Baden Baden fait partie de ces groupes dont la musique nous évoque plein de choses sans qu’on puisse pour autant la rattacher à des influences très claires (Girls In Hawaii peut-être). C’est loin d’être une tare et on pourra plus aisément s’attacher à souligner les beautés nombreuses de ces chansons à la fois élégantes et brumeuses, mélancoliques et intenses, étincelantes et mystérieuses.
Ici tout me désigne / Des villages se dessinent / Le monde bouge et moi / Je reste, je me fige / Je reste, je me fige / Je reste, je me fige / Je reste, je me fige / Ici les vents sont contraires
Ici
Souvent parcourus de guitares iridescentes, les morceaux de Mille éclairs apparaissent comme autant de zébrures dans un ciel nocturne. Elles ont surtout cette faculté d’envelopper l’auditeur pour le recouvrir d’un manteau étoilé, comme un bain de minuit seul avec l’océan. Ces chansons de nuit et d’eau brillent d’une élégance jamais prétentieuse, imposant leur distinction sans jamais trop en faire. On pense parfois à Florent Marchet mais en plus humble (notamment sur Hivers ou Depuis toi). On pense à Dominique A – celui de L’horizon – , à l’incandescence d’un certain rock canadien, avec ces guitares qui se mettent à enflammer l’arrière-plan des morceaux. On pense aussi un peu à Radiohead parfois. Et si des papillons noirs habitent cette musique, ils ont la grâce de ne jamais cesser de voler, nous forçant à garder les yeux constamment fixés vers le ciel.
Je suis trop fatigué, maintenant pour parler / D’ailleurs jamais vraiment je ne discute tu sais / A ce moment précis, à cette heure avancée / Je ne fais pas semblant, car c’est pour te voler
L’élégance avec
Baden Baden soigne son entrée en matière en plaçant d’emblée quelques uns de ses meilleurs atouts. Ce sera d’abord J’ai plongé dans le bruit qui pose le décor avec ses guitares noise, son piano intrigant en incipit, son rythme saccadé et son texte parsemé de jolies fulgurances. Cette forme de poésie fait d’ailleurs beaucoup pour le charme du disque et, si Coline faisait encore la part belle à l’anglais, Mille éclairs tranche résolument en faveur du français, avec une réelle réussite. Certes, rien de très original dans les textes : l’amour, l’incertitude, le temps qui passe, la vie d’adulte, les rêves plombés et le goût de la vie… mais rien que des choses cruciales en fait. Au fil de l’album, Baden Baden alterne entre poussées de fièvre (le formidable L’échappée ; les impressionnants L’élégance avec et A tes côtés) et dérives hypnotiques et lunaires (l’instrumental Finalmente, le superbe M.A.C.). L’ensemble dévoile au final une profondeur de champ remarquable, affichant une cohérence éclatante et un étonnant mélange de fragilité et de maturité.
Je t’offrirai le monde / Comme on s’offre qu’une fois / Une trop belle nuit en échappée de toi
L’échappée
« Je commence à me plaire / A tes côtés » chante ici Eric Javelle. On lui retournera le propos : on se plait nous aussi aux côtés de ces chansons ; on y restera sans doute quelque temps.
Je te rejoins complètement sur ce disque qui fait sans doute partie des meilleures choses que j’aurai écoutées en 2015… très réussi…et en live c’était encore mieux…:)