Le plein de vitamine D

Orange Juice You can’t hide your love forever (1982, Polydor)

Orange Juice - You can't hide your love forever

L’Écosse n’est décidément pas l’Angleterre. Tandis qu’à Londres ou à Manchester, le post-punk se dégustait glacé, comme pétrifié par le souffle de l’explosion punk, plus au nord, du côté de Glasgow, une frange de jeunes gens romantiques décidait de laisser libre cours à son goût des mélodies sucrées et des rythmiques entraînantes, s’inspirant aussi bien de la pop lumineuse des Byrds que de la soul 60’s. Orange Juice naît officiellement en 1979, sur les cendres d’une première version de lui-même dénommée Nu-Sonics. Le groupe devient la première signature de Postcard Records, label indépendant juste formé par Alan Horne, lui-même proche du leader d’Orange Juice, Edwyn Collins. Sous le slogan « The sound of young Scotland », le label devient la vitrine d’une scène glaswégienne en pleine effervescence, d’où émergeront d’autres figures de l’indie-pop de ces années-là, de Josef K à Aztec Camera, et dont la sève irriguera la musique de nombre d’artistes plus que recommandables.

You’re so transparent I can guess without question / You need something or other to cover your expression / I bought you some sunspecs from the local hipsters store / I need you more or less, you need me more and more

Untitled melody

Sous son nouveau nom, Orange Juice fait paraître au tout début de 1980 un formidable premier single Falling and laughing, sur lequel les guitares acérées du post-punk semblent prendre le soleil, et c’est tout un décor qui paraît passer du noir et blanc à la couleur. La chanson se singularise aussi en affichant un romantisme presque fleur bleue – même si toujours maintenu à distance par une pointe d’ironie – , denrée peu courue au milieu des tourments intimes qui nourrissent alors le catalogue des figures de proue du post-punk. Le groupe enchaîne les singles et EP mais va piétiner un temps avant de publier son premier LP. Les sessions sont enregistrées à l’été 1981, mais après quelques atermoiements entre plusieurs labels, You can’t hide your love forever ne paraît qu’au début de l’année 1982. Entre temps, Orange Juice tourne à l’aigre et le line-up du groupe se recompose en grande partie, le guitariste James Kirk notamment claquant la porte avant même la parution de ce premier opus.

I wore my fringe like Roger McGuinn’s / I wore it hoping to impress / So frightfully camp, it made you laugh / Tomorrow I’ll buy myself a dress / How ludicrous

Consolation prize

Malgré le contexte un brin mouvementé ayant accompagné sa sortie, You can’t hide your love forever s’avère tout simplement brillant. Orange Juice adoucit un peu le son de ses premiers EP – avec quelques chœurs, quelques cuivres, quelques nappes de synthé – mais ne perd rien de son éclat. Le groupe parvient avec bonheur à combiner l’urgence et l’énergie du punk avec des rythmiques funk, la verve mélodique d’une pop West Coast irisée avec les guitares spasmodiques des Talking Heads. Se dégage de l’ensemble une forme de vigueur roborative, dont le piquant est rehaussé par une touche de raideur aigrelette, un zeste d’humour vachard et le timbre nasillard d’Edwyn Collins qui vient ajouter ce qu’il faut d’acidité au glucose de son jus d’orange. Les guitares de Kirk et Collins s’entrelacent et se répondent un peu comme chez Television tandis que la section rythmique s’ajuste à la perfection aux humeurs des morceaux, convulsif ou lumineux, parfois les deux successivement. Les chansons reflètent à merveille un certain romantisme post-adolescent, entre excitation survitaminée (ce Tender object frénétique ou ce Wan light scintillant comme une boule à facettes) et peines de cœur, autodépréciation légère et reproches boudeurs (Falling and laughing ou la magnifique ballade finale In a nutshell). Contrairement à la vulgate punk qui souhaitait faire table rase du passé, Orange Juice va puiser allègrement chez Al Green (avec une reprise à tomber du L.O.V.E. love) ou les Byrds (Collins mentionne même la frange de Roger McGuinn sur Consolation prize). Sur Intuition told me, pt. 1, le groupe livre une sorte de bluette aux accents country-folk, mais ailleurs, on croit reconnaître les riffs étranglés de Wire ou des Talking Heads. Et le formidable Three cheers for our side fait résonner le son de la Motown, notamment la pulsation du Heatwave de Martha & the Vandellas. Cette façon de tirer des traits entre la pop haut de gamme des 60’s – blanche ou noire – et l’immédiateté tranchante du punk constituera une influence évidente pour les Smiths.

I looked deep within my pocket / For the note you sent to me / To put it in a nutshell / You’re a heartless mercenary

In a nutshell

En ouverture du superbe Wan light, James Kirk énonce les mots suivants : « There is a place which no one has seen / Where it is possible to dream ». On a vu l’endroit et on confirme qu’il est idéal pour rêver, chanter, se trémousser, et faire le plein de vitamine D. Complètement remodelé, et avec un Edwyn Collins seul maître à bord, Orange Juice fera paraître deux autres albums, sur lequel il ira élargir encore son registre, entre tentations funk et influences africaines. On y reviendra sans doute parce que ces deux disques valent aussi leur pesant de plaisirs sucrés.

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