La piste fauve
R.E.M. Lifes rich pageant (1986, I.R.S.)
Reprenons aujourd’hui la remontée chronologique de la discographie de R.E.M. avec ce soir un retour sur le quatrième épisode de cette roborative aventure, ce Lifes rich pageant de 1986.
There’s a problem, feathers iron / Bargain buildings, weights and pullies / Feathers hit the ground before the weight can leave the air / Buy the sky and sell the sky and tell the sky and tell the sky
Fall on me
Avec ce quatrième LP en quatre ans, l’intervalle entre chaque étant occupé par d’épuisantes tournées, le quatuor d’Athens confirme la trajectoire amorcée par son précédent opus – Fables of the reconstruction – tout en prenant son contre-pied stylistique. Car si Fables… annonçait la future courbe ascensionnelle du groupe vers le succès public, il semblait encore empli d’incertitudes. Le tout se jouait encore sous d’étranges nuages noirs, dans une atmosphère brouillée et menaçante. Avec Lifes rich pageant, R.E.M. semble avoir résolument décidé de marcher vers les sommets. Après le renommé producteur Joe Boyd, le groupe s’attache ici les services de Don Gehman, vu aux manettes du rock musclé de John Mellencamp. L’influence du bonhomme allait s’avérer étonnamment bénéfique pour un groupe qui semblait jusqu’à lors prendre plaisir à dresser autour de sa musique des voiles de mystère et de brumeux halos.
I have water I have rum / Wait for dawn and dawn shall come
Underneath the bunker
L’introductif Begin the begin (clin d’œil à Cole Porter ?) annonce d’entrée les couleurs : elles seront fauves et éclatantes. Jamais auparavant n’avait-on entendu un R.E.M. aussi affûté, toutes guitares dehors et batterie en avant. Stipe chante plus distinctement qu’il ne l’avait jamais fait et ces nouvelles nuances d’acier trempé siéent remarquablement bien au teint du groupe. Car si R.E.M. bande ses muscles, il n’en fait jamais trop et conserve intact son sens aigu de la mélodie lumineuse et son aura d’étrangeté. En fait, Lifes rich pageant atteint une sorte d’équilibre parfait entre les aspirations mainstream du groupe et ses racines underground. R.E.M. laisse derrière lui le romantisme diaphane et énigmatique de ses débuts pour aller voir ailleurs, vers quelque chose de plus brûlant, de plus percutant. Lifes rich pageant contient ainsi quelques uns des morceaux les plus farouches de la bande à Michael Stipe. Outre le Begin the begin sus-mentionné, These days, Hyena ou le très punk Just a touch dégagent une énergie féroce, habillant la fièvre qui habitait déjà la musique du groupe de sonorités plus rugueuses, la batterie de Bill Berry (dont la photo occupe la moitié de la pochette) développant une puissance inédite. Lifes rich pageant voit également Michael Stipe dissiper peu à peu la brume qui l’entourait : son chant se fait plus net, ses textes plus explicites (toutes proportions gardées) et plus engagés, affichant des préoccupations écologiques et politiques jusque là souterraines.
I can’t see where to worship Popeye, love Al Green / I can’t see, I’m so young, I’m so god damn young
Just a touch
Une partie des morceaux de l’album est donc taillée dans un bois très rock, noueux et tendu, empli d’une sève vivace et brûlante ; des chansons comme These days ou Just a touch composent ainsi de réjouissants bouquets de nerfs. R.E.M. n’abandonne pas pour autant son légendaire sens mélodique et les arpèges de Peter Buck demeurent un atout majeur dans son jeu. Sur I believe, ceux-ci tracent un ligne idéale entre Athens, Géorgie et le Manchester des Smiths tandis que Cuyahoga se déploie majestueusement, ample et lyrique sans une once de graisse. R.E.M. ne détestant pas varier les plaisirs, le groupe se fend par ailleurs d’une ballade de très belle facture avec Flowers of Guatemala et se permet aussi quelques remarquables pas de côté : la salsa décalée de Underneath the bunker, le dénuement solennel de Swan swan H ou une reprise rieuse de Superman des obscurs The Clique, interprété par Mike Mills. Et comment oublier le sommet du disque, ce Fall on me extraordinaire devenu emblématique du groupe et qui condense en lui tout ce que le groupe pouvait donner de meilleur : souffle lyrique, richesse mélodique, vertige ascensionnel…
Let’s put our heads together and start a new country up / Our father’s father’s father tried, erased the parts he didn’t like / Let’s try to fill it in, bank the quarry river, swim
Cuyahoga
Véritable classique intemporel, ce titre rehausse encore le niveau d’un album haut de gamme, un des meilleurs du groupe d’Athens, un des plus cohérents et représentatifs de son talent. Lifes rich pageant lance définitivement le groupe à la conquête des ondes et d’une audience de plus en plus vaste. Document poursuivra le mouvement. Nous y reviendrons bien sûr bientôt.
2 réponses
[…] laissé R.E.M. sur le seuil du succès avec l’excellent Lifes rich pageant de 1986. Le groupe, incarnation du rock indé et favori des college radios US, semblait lancé sur […]
[…] Out of time montre un R.E.M. quitter la voie plus rock qu’il avait prise depuis en gros Life’s rich pageant. Les guitares sont le plus souvent débranchées, la rythmique s’apaise et on voit […]