Étienne Daho Pop satori (1986, Parlophone)
Saisi d’un léger remords pour l’avoir laissé à la porte de mon top 10 de l’année 1986, je reviendrai ce soir sur ce Pop satori qui mérite bien, ma foi, quelques louanges.
Après-midi, Paris, c’est fun, en terrasse, attablé / Regards lourds de sens et connivence pour qui cherche une main / Je n’attends vraiment rien, je viens pour y lire des bouquins, Artaud, Miller puis faut qu’j’aille / Trainer sans raison, trainer sans raison, trainer sans raison, trainer sans raison, trainer sans raison
Paris le Flore
Tous les feux sont au vert pour le Rennais d’adoption quand paraît Pop satori. Deux ans plus tôt, le formidable La notte la notte permettait au garçon d’imposer une voix résolument moderne dans la chanson d’ici, une humble présence aux goûts sûrs capables de rassembler sur son nom les branchés des soirées parisiennes, les critiques pointus et le public familial des émissions de variété. Le 45 tours Tombé pour la France enfonçait le clou en 1985, commençant d’allumer une « Dahomania » qui allait prendre peu à peu des proportions gigantesques. Tout est donc paré pour définitivement envoyer la fusée Daho en orbite. C’est justement Orbit (William) que le bonhomme choisit dans un premier temps pour produire un album devant être celui de la confirmation mais la mayonnaise n’allait prendre qu’à moitié. Au final, malgré quelques morceaux aboutis, Daho s’en revint terminer l’album à Paris entouré d’une équipe plus familière (Arnold Turboust en tête). Tout était donc prêt et, malgré ces quelques toussotements à l’allumage, Daho n’allait pas rater son coup, tant Pop satori allait ramasser la mise sans rien laisser sur la table, emportant aussi bien les louanges de la critique que les suffrages du public.
C’est ma première nuit chez toi, nuit noire, nuit blanche assurée pour moi / Dormir, je suppose, serait sage chose, dormir, je m’impose
(Qui sera) Demain mieux que moi
Plus de trente ans après, on appréciera avec encore davantage de netteté le coup de maître réalisé par Étienne Daho avec ce disque. En allant puiser dans les sonorités synthétiques alors en vogue pour les frotter à la masse d’influences l’ayant façonné, Daho faisait rien moins qu’emmener avec lui la pop d’ici vers le futur. Pop satori condense tous les atouts qui rendent le bonhomme et sa musique si précieux. On y trouve cette élégance pétillante teintée de mélancolie feutrée, cette façon d’attirer l’attention sans jamais la ramener. On y trouve aussi cet art de se situer à la croisée des chemins, ce talent d’infatigable passeur s’évertuant à faire transiter en contrebande vers le grand public ses goûts pour des musiques plus aventureuses. Daho s’en va donc rendre un fervent hommage à l’admiré – et admirable – Stuart Moxham via une relecture impeccable du Love at first sight des obscurs The Gist (Paris le Flore) ou célébrer le génie fracassé d’une autre de ses idoles, Syd Barrett, en reprenant de fort belle manière Late night. Pop satori constitue en fait une sorte de précipité de ce qui fait alors la vie de son auteur, semant au fil du disque des morceaux de lui comme autant d’indices composant pour l’auditeur un roboratif jeu de piste : hédonisme et existentialisme, lieux emblématiques (night-clubs, plage de Sables-d’Or-les-Pins, café de Flore), influences musicales, petites amies (Elli Medeiros), tout y passe, y compris l’évocation des blessures les plus intimes avec ce « Duel au soleil » cryptique qu’il avouera plus tard adresser à un père si longtemps absent.
L’horizon s’éclaircit sublime, le soleil s’est levé / Dans le rôle du rebelle des sables enfin, tu apparais / Défiant toutes tes attitudes dans les dunes caché / Je n’te laisserai aucune chance, pas de chance
Duel au soleil
Pop satori rutile et pétille, festif et lumineux, entre le bleuté des jours et le doré des nuits. Daho enchaîne les gemmes pop au charme irrésistible, justifiant pleinement d’avoir rassemblé cette collection de chansons sous un titre signifiant peu ou prou « illumination pop ». Dans le registre enlevé et chatoyant, on citera naturellement l’évidence des tubes Épaule tattoo et Tombé pour la France, le second ayant à mon sens un poil mieux vieilli que le premier (mais je chipote). On n’omettra pas de signaler qu’un morceau comme Pari à l’hôtel n’a rien à leur envier, frais, fluide et pailleté. Quand il ralentit le tempo, Daho instille à ses chansons une forme de douceur légère, suscitant le frisson d’un frôlement comme sur le superbe Quelqu’un qui m’ ressemble ou ce (Qui sera) Demain mieux que moi tout de pudeur tremblé. Paris le Flore – à l’instar de l’original de The Gist – baigne dans une brume irréelle et romantique qui ne pourra que toucher au cœur celles et ceux qui ne se résignent pas à constater la bête matérialité des choses. Le disque trouve son zénith avec l’inépuisable Duel au soleil, bijou composé à quatre mains avec le précieux et trop rare Jérôme Soligny, défi jeté à la face du père dans un paysage vibrant sous la chaleur et la mélancolie.
Vous avez sollicité, mes bas instincts suscités / da dap dap dap / Vous m’avez sollicité, j’pouvais pas lutter
Épaule tattoo
Malgré toutes ses qualités, j’avoue trouver Pop satori un poil moins touchant que son prédécesseur, un brin plombé aussi par quelques morceaux moins réussis comme 4000 années d’horreur ou Pop égérie O. Pas de quoi pour autant faire la fine bouche sur un album qui n’a (presque) pas pris une ride et affiche toujours son insolente jeunesse.