A prendre ou à laisser ?
Miossec A prendre (1998, PIAS)
Reprenons aujourd’hui notre exploration de la discographie de l’épatant Breton là où nous l’avions laissée, à savoir à ce troisième épisode paru en 1998. Nous noterons déjà un paradoxe, cet album marquant les débuts d’un véritable succès public pour Miossec alors même qu’il s’agit probablement de son disque le moins abouti, en tout cas celui le plus fréquemment éreinté par la critique et par son auteur lui-même. Alors, qu’en est-il vraiment de cet A prendre que je réécoute avec assiduité depuis quelques jours : vrai plantage ou bien trésor sous-estimé ? Ni l’un ni l’autre, répondrais-je, bien que n’étant pas Normand.
Elle me dit quand elle pense elle se demande / Comment elle n’a pas coulé avant une bielle / Dire qu’à une époque elle me pensait capable de lui apprendre / Des trucs comme qu’est-ce qui se passe au ciel / Elle trouve ça drôle, alors elle rit / Je ris aussi, mais moi c’est les nerfs
A table
Après deux premiers albums très réussis, A prendre s’apparenterait plutôt à une erreur de trajectoire que son auteur s’efforcera de rectifier avec ses disques suivants. Miossec semble arriver ici à la fin d’un cycle, qui se traduira dès l’après A prendre par sa rupture artistique avec son comparse des débuts, Guillaume Jouan. Embarqué à l’époque dans un rythme de vie frénétique et cabossé, mordant à pleines dents – la trentaine bien entamée – dans sa nouvelle existence de musicien professionnel après des années d’indécisions et de galères, Miossec dévale la pente esquissée par Baiser en perdant quelque peu le contrôle de son engin. Il avouera plusieurs fois par la suite s’être senti à l’époque dépossédé et dépassé, s’engageant dans une voie rock qui s’avérera au final une voie de garage. On entend donc sur A prendre la plupart du temps des chansons plus musclées, des guitares énergiques affichant leurs airs bravaches sans néanmoins parvenir à retrouver la rugosité mordante des griffures acoustiques de Boire. A prendre ressemble souvent à un fort honorable disque de rock français mais aux angles émoussés, Miossec semblant un peu tourner en rond dans le pré carré qu’il s’était bâti. Le hâbleur timide et touchant tend à se cacher derrière un excès de testostérone musicale et, pour reprendre le texte de A table, il arrive ici un peu trop fréquemment qu’ “on voit le briquet mais pas l’étincelle”.
Car rien ne peut rester comme ça dans les nuages / C’est la terre qui nous attire assurément / De toutes façons, on ne craint pas l’atterrissage / On sait que le scratch est prévu et même imminent
Retour à l’hôtel
Ceci dit, il ne faudrait pas considérer A prendre comme un mauvais disque ou un album sans intérêt. Miossec garde pour lui de nombreux atouts et demeure capable d’aligner des chansons qui valent la peine et laissent des traces, fréquemment au-dessus du tout-venant de la chanson d’ici. Miossec reste ainsi un formidable parolier, écrivant comme on part à l’abordage, l’haleine chargée et le verbe tranchant et affûté. A prendre constitue ainsi la chronique sans fard des liens qui se dénouent, de l’amour au quotidien qui perd peu à peu ses couleurs et ses illusions, des hommes (surtout) et des femmes réduits à écoper pour éviter le naufrage ou l’échouage. Ce précis de décomposition est rédigé tantôt avec ironie et humour noir (A table, L’auberge des culs tournés), tantôt avec une gravité qui le rend bouleversant (Retour à l’hôtel, Au haut du mât, les deux sommets de l’album). Par ailleurs, malgré leurs ficelles un peu voyantes et leurs airs paresseux, des morceaux comme Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement, L’assistant parlementaire ou L’auberge des culs tournés (compte-rendu sans concession d’une panne sexuelle) emportent au final l’adhésion (à défaut d’une affection sans borne), la verve vacharde de Miossec se combinant plutôt bien ici avec ces orchestrations plus vitaminées. Et même si on préfère quand le Breton semble marcher seul sous le crachin, on ne balaiera pas ces quelques airs qui pour être véniels ne sont pour autant jamais insignifiants. On passera pudiquement sur les quelques foirades que recèle l’album (Tout compte tout compte fait, La maison) et on se dira au final qu’ A prendre mérite quelques lauriers, même modestes.
Quand le désir s’en va / C’est qu’il était parti depuis déjà longtemps / Mais dans pratiquement tous les cas / Tout le monde s’arrange pour faire semblant / Alors que ça flottait au haut du mât / Comme au fond de l’œil depuis un bon moment
Au haut du mât
La suite des aventures du Breton le verra reprendre vertement la barre, remisant définitivement aux oubliettes la tentation de se faire leader d’un groupe de rock à guitares au risque de s’enfermer dans une voie sans issue. A prendre demeure un album mi-figue mi-raisin, en partie décevant mais en partie seulement, la personnalité et le talent du bonhomme lui permettant de surnager encore fort décemment.
2 réponses
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[…] son troisième album, A prendre, Miossec menaçait dangereusement de filer un mauvais coton. Même si le disque demeurait attachant […]