L’autre Finistère
Miossec Finistériens (2009, PIAS)
Parler aujourd’hui de Finistériens après ce retour sur le fracassant Boire équivaut à faire le point sur une relation de près de quinze ans avec Miossec. Au cours de ces quinze années, on aura d’abord vu l’homme vieillir – et nous du même mouvement -, la présence systématique de sa trogne bretonne sur ses pochettes d’albums rendant compte sans fard du passage du temps. Force est de constater d’ailleurs que notre ami s’en tire plutôt bien… Au cours de ces quinze années, on aura aussi (et surtout) suivi l’évolution musicale du Brestois. En 1995, Miossec débarquait à la hussarde pour un saccage jouissif des pénates somnolentes de la chanson d’ici, armé de mots mal peignés qu’une acoustique d’une remarquable sécheresse accompagnait à merveille. Puis, Miossec a cherché, tâtonnant pour donner un écrin adéquat à ses textes barbares, tous ces mots à expulser d’urgence et sans chichis, comme on se purgerait de ses veuleries et de ses prétentions. La recherche s’avéra parfois bien sommaire, notre homme se contentant à plusieurs reprises du minimum syndical, usant d’orchestrations rock un brin limitées mais qui parvenaient quand même à passer en force, sans pour autant retrouver le miraculeux équilibre instable du premier album.
A partir de l’excellent Brûle de 2001, Miossec semble avoir peu à peu trouvé la formule, ouvrant sa musique à des orchestrations plus variées peaufinées par quelques complices de talent (Joseph Racaille, Jean-Louis Piérot). Au fil des albums parus depuis le début de ce siècle, Miossec a su ainsi laisser entrer dans ses chansons des airs différents, des cuivres et des vents, une instrumentation finalement plus à peine de souligner ses tendresses et ses fêlures, ses coups de tabac et ses coups de cafard. De Brûle (2001) à L’étreinte (2006), Miossec a su construire une œuvre riche et originale, tournant sans cesse autour des mêmes thématiques (les questions sans réponse, les amours qui s’échouent, les hommes qui échouent) sans pour autant paraître condamné à une répétition stérile. Comme si notre homme parvenait à recycler sans perte d’énergie son minerai originel, trouvant de nouvelles formules pour le faire brûler encore.
Sur ce Finistériens, c’est une collaboration rapprochée avec Yann Tiersen qui a permis à Miossec de reproduire une fois de plus la combustion nécessaire à ses chansons. Le brillant multi-instrumentiste se place ici en réel alter-ego de Miossec, écrivant une bonne moitié des musiques, jouant de la quasi-totalité des instruments et produisant le tout, mais pour au final bel et bien aboutir à un album de Miossec, dans la lignée des précédents. Tiersen apporte ici un sens de l’espace et une ampleur nouvelle à la musique de son comparse breton qui semble davantage prendre de hauteur par rapport à ses propres morceaux. Le résultat est ainsi proprement enthousiasmant sur tout le début de l’album. Le magnifique Seul ce que j’ai perdu introductif vibre dans un clair-obscur saisissant puis Miossec se montre sous son jour le plus gracieux pour le merveilleux Les joggers du dimanche. Le bouleversant Les chiens de paille vient ensuite rappeler qu’une chanson engagée n’est pas forcément gnangnan puis la rage amère et lumineuse d’A Montparnasse vient ensuite nous remuer l’intérieur, un piano entêtant ouvrant le chemin à un flot gonflé de guitares rock. Miossec et Tiersen s’essoufflent quelque peu vers le mitan du disque, avec des titres pas très bien fagotés comme Jésus au PMU ou Haïs-moi avant de se reprendre en beauté pour une conclusion en feu d’artifice. C’est d’abord le très beau Fermer la maison qui reprend une fois de plus une thématique chère à Miossec, la fin du désir et de l’amour. Puis Tiersen offre à Miossec un cadeau de roi, avec le glorieux Loin de la foule qui culmine dans un crescendo somptueux. L’album se clôt sur le bouleversant ressac d’Une fortune de mer sur lequel les sanglots d’un cœur brisé viennent se mêler aux vagues s’échouant sur les récifs.
Miossec semble ainsi s’être bâti une place bien lui dans le paysage de la chanson française, un territoire un peu sauvage, souvent battu par les vents, sur lequel alternent tempêtes, ciels d’encre et éclaircies : un “autre Finistère”.
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