Chansons d’automne
Jean-Louis Murat Cheyenne autumn (1989, Parlophone)
Quand paraît Cheyenne autumn en 1989, cela fait déjà plus de dix ans que Jean-Louis Murat se nourrit de vache enragée dans les contre-allées de la chanson d’ici. Après des débuts fort discrets au sein des obscurs Clara à la fin des années 1970 mais qui lui valent quand même d’être remarqué par William Sheller, l’Auvergnat publie en 1981 un premier 45T en solo, Suicidez-vous le peuple est mort qui ne gagnera guère plus qu’un bannissement des antennes d’Europe 1. Le bougre insiste mais son premier LP, Passions privées, paru en 1984, rencontre un insuccès à peu près total. La trentaine passée, lourdé de sa maison de disques, on n’aurait pas forcément donné cher alors de la peau du bonhomme. Et pourtant, c’est par la grâce d’une sorte de malentendu malignement entretenu que la carrière de l’Auvergnat allait décoller. Finalement recueilli par Virgin, Murat enregistre en 1988 Si je devais manquer de toi qui décroche un certain succès et lui colle pour un temps une image de romantique tourmenté au beau regard bleu empli de tristesse. La pochette de Cheyenne autumn illustre à la perfection ce positionnement marketing, montrant un Murat qui prend sa plus belle pose de simili-Francis Huster, ses yeux cristallins regardant vers un ailleurs sans doute chargé de mélancolie.
Sous de multiples souvenirs / J’ai l’unique plaisir / De ton silence / De ta confiance / Viens je serais sage / Si tu m’embrasses
Amours débutants
On ne saurait cependant présumer de l’ivresse par la simple vue du flacon et les 14 titres figurant sur cet album amènent bien vite à dépasser l’image d’Épinal du bellâtre pétri de sentimentalité. Musicalement, l’esthétique de Cheyenne autumn fait penser à quelque chose comme une sorte de blues synthétique, claviers et boîtes à rythme recouvrant la plupart des morceaux d’une nappe de brume et d’un voile de grisaille. Murat dévide des textes à la poésie morose emplis d’une imagerie qui nous sera bientôt familière : figures animales (Le troupeau, Les animaux), références récurrentes à la campagne, à l’automne (Pluie d’automne, Cheyenne autumn), à la pluie, à la terre… Accompagné de son complice Denis Clavaizolle, le bonhomme marque surtout un territoire, loin des villes et de leurs lumières, où la nature se fait source de mélancolie, où la montagne inquiète comme dans un roman de Ramuz. Et le charme agit comme Le venin auquel Murat fait allusion sur l’un des titres de l’album, capiteux et insidieux. Les mélodies ouatées pénètrent nos défenses et leurs vapeurs narcotiques nous embrument joliment l’esprit.
D’avoir mené les chevaux / D’avoir traversé les glaces / Pour me bâtir un troupeau / N’apaise pas mon angoisse / Pourtant le soleil est haut / Dans l’azur pas de menace / Je rêve parmi les chevaux / D’horizon mauve et d’espace
Le troupeau
Tout n’est pas réussi sur ce disque, loin de là. Le parti-pris synthétique impose un peu trop de froideur et de hiératisme et certains titres peinent à masquer leurs faiblesses (Le garçon qui aimait les filles, La lune est rousse sur la baie de Cabourg) mais la langueur et les humeurs floues de Murat font mouche à plusieurs reprises, touchant la zone sensible de nos petits cœurs fragiles. Sur le versant le plus neurasthénique de l’album, on retiendra tout particulièrement l’élégiaque et glaçant Le troupeau, sans doute le meilleur morceau du disque ou l’épatant L’ange déchu, à la nonchalance puissamment séduisante. Murat livre quelques autres excellents lamentos à l’humidité maladive (Pluie d’automne, Déjà deux siècles 89) mais fait montre en plusieurs occasions de sa capacité à colorer l’atmosphère souvent grisâtre de Cheyenne autumn. Ce sera par exemple l’épatante bossa de Pars ou la pop frémissante des Amours débutants, qui révélaient une fantaisie et une variété plus vives qu’on aurait pu le croire au premier abord, et que la suite de l’aventure de l’Auvergnat confirmera largement.
Moi je veux trouver la mort, en voiture de sport / Briser la carcasse, répandre le contenu (Paradis perdus)
Cheyenne autumn marquait donc l’arrivée dans la chanson d’ici de ce drôle d’olibrius, faisant émerger sur la carte un territoire singulier et brumeux. On serait cependant bien en peine de deviner ici ce qui allait germer dans ces champs et prairies et comment allait évoluer notre Auvergnat favori (même si on n’oublie pas les gars de Mustang). Une écoute de son dernier-né Babel suffira à donner une idée aux béotiens…