Dies irae

Diabologum #3 (1996, Lithium)

Diabologum - #3

Puisque cet album fondamental sera – enfin – réédité ce lundi par le label Ici d’ailleurs, l’occasion est parfaite de revenir sur ce qui constitue peut-être mon disque de rock français préféré, toutes époques confondues. Ce quatuor toulousain, articulé autour d’Arnaud Michniak et de Michel Cloup, produisit entre 1993 et 1996 une musique en fusion, mêlant dans le même geste fulgurances politiques et poétiques, guitares abrasives et samples rugueux pour créer une impressionnante déflagration au coeur du paysage musical français, dont on n’a pas fini de ressentir les secousses. Après deux albums parus en 1993 et 1994 – C’était un après-midi semblable aux autres et Le goût du jour – le groupe allait proprement exploser à la face du monde avec ces dix morceaux extraordinaires.

S’arranger la frange / Ne plus croire en la loi des échanges / De la fange qui a faim ou du gratin qui mange / A part sortir quand c’est fini / Main dans la main de celle qui nous a choisis / Il n’y a rien à gagner ici

365 jours ouvrables

Diabologum réalise ici un incroyable coup de force, un disque d’une puissance rarement entendue en France. Appuyé sur un mur du son saisissant bâti sur des blocs de guitares électriques en fusion cimentées par une rythmique impeccable, le groupe débite d’une voix blanche des textes engagés et enragés, d’une lucidité féroce sur le monde comme il va ou comme il ne va plus. Diabologum se faisait ainsi le parfait interprète du malaise diffus qui pouvait nous habiter à l’époque, jeunes gens de vingt ans au milieu des années 1990, et ce par la grâce d’un disque brûlot, étendard d’une colère vibrante et sans illusions. De cette colère, le groupe fait naître une explosive sécession esthétique, mêlant dans son chaudron fumant guitares noisy et parlé-chanté, samples de jazz et extraits de films, Wu-Tang-Clan et Guy Debord, Steve Albini et Jean Eustache.

Dors, fais de beaux rêves / Dans ces moments-là / C’est chacun pour soi / Fais de beaux rêves / Tu pourras parler, rire ou bien pleurer / C’est ton problème

Un instant précis

L’introductif De la neige en été saisit d’emblée l’auditeur comme un seau d’eau glacée pour ne plus le lâcher quarante minutes durant. Au fil du disque, Diabologum évolue entre détonations électriques et plages plus expérimentales. Sur son versant rock, l’album aligne les chansons tendues et indociles, aiguisées comme des lames, à l’image du fantastique Il faut et ses paroles inoubliables assénées comme autant d’uppercuts sur un lit de guitares embrasées et tournoyantes. Près de 20 ans après, on constatera que certaines phrases n’ont rien perdu de leur acuité. Avec A découvrir absolument, Diabologum s’essaie à la chanson-collage, juxtaposant des extraits de programmes télévisés pour en dévoiler plus efficacement que tout discours le vide confus. 365 jours ouvrables claque également comme un coup de feu, parvenant à maintenir allumée une étincelle de joie au milieu d’un désenchantement glaçant. Les angles et Une histoire de séduction se situent dans une veine plus expérimentale, morceaux parlés sur fond de boucles austères. Mais le véritable sommet du disque demeure La maman et la putain, exceptionnelle mise en musique du monologue bouleversant de Veronika (Françoise Lebrun) dans le film du même nom de Jean Eustache – sans doute un des 10 plus beaux films du monde. Un feu inaltérable semble consumer ce morceau de bout en bout et le mariage entre la musique et le texte d’Eustache vous fera proprement trembler sur vos bases ; difficile d’écouter ces 5’52 sans avoir le ventre serré et les poils hérissés. L’album se termine par une relecture d’un titre du Blank generation de Richard Hell, point final fiévreux venant sceller à l’acide un disque définitivement hors normes.

Il n’y a que toi pour me baiser comme ça / Il n’y a que moi pour être baisée comme ça par toi / Comme les gens peuvent se leurrer / Comme ils peuvent croire / Il n’y a qu’un toi, il n’y a qu’un moi

La maman et la putain

On a souvent reproché aux membres de Diabologum un côté « intello », les accusant d’être froids et prétentieux. On saluera plutôt ici une prise de parole sidérante et hardie, une manière d’user de la colère pour saisir le monde et le « découper à coups de rasoir pour voir au cœur du fruit le noyau noir » comme le chantait un autre insoumis, Gérard Manset. Le groupe se disloquera après ce coup d’éclat, miné par les divergences personnelles et artistiques. Arnaud Michniak s’en ira créer Programme qui radicalisera encore le propos et délivrera deux disques intenses et terrifiants entre 2000 et 2002, Mon cerveau dans ma bouche et L’enfer tiède. Il évolue depuis en solo et a encore fait paraître un album l’an dernier, Écho. Michel Cloup formera le groupe Expérience avant de sortir son premier album solo, Notre silence en 2011 et le bouleversant Minuit dans tes bras l’an dernier sous le nom de Michel Cloup Duo. Diabologum s’est reformé le temps d’un concert pour les 20 ans du festival des Rockomotives en 2011, accueillant même sur scène Françoise Lebrun pour venir lire le texte sans égal de La maman et la putain.

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