L’expérience du feu
The Jimi Hendrix Experience Are you experienced (1967, Experience Hendrix)
He took it all too far / But God, could he play guitar
David Bowie – Ziggy Stardust
Je ne vous raconterai pas ici la vie de James Marshall Hendrix ni ne prétendrai endosser les habits de plus doctes Hendrixologues. D’autres que moi s’en sont chargés, et bien mieux que je ne le pourrais. A dire vrai, ma relation avec Hendrix est à la fois ancienne et fluctuante. L’un des tous premiers CD qui prit place sur mes étagères fut la compilation The ultimate experience, que je reçus pour un Noël et qui retraçait en 20 morceaux la discographie explosive du bonhomme. J’ai aimé cette compilation avant que d’autres musiques ne s’imposent à moi avec plus d’urgence, le temps et les disques écoutés par centaines se chargeant ensuite de recouvrir peu à peu le feu hendrixien. Il ne faisait que brûler sous la cendre : je commençais à ressortir plus souvent la fameuse compilation avant d’avoir l’occasion d’écouter enfin ce légendaire Are you experienced. Et tout s’enflamma de nouveau…
Excuse me while I kiss the sky
Purple haze
Réécouter Hendrix fut l’occasion idéale de réaliser la portée réductrice des étiquettes affublant depuis des lustres son paletot bigarré. Bien sûr, on retrouve ici le guitariste irréel ridiculisant en trois accords la meute des guitaristes à solo, faisant jaillir de son instrument des sonorités inconnues, des râles orgasmiques, des geysers fulminants, des rayons stellaires. On ne saurait cependant résumer la musique d’Hendrix à une démonstration de virtuosité, aussi brillante fut-elle, ou à une simple exhibition d’obsédé du manche. On a bien affaire ici à un songwriter de premier ordre au talent polymorphe, qui plus est épaulé par deux musiciens de haute volée, la performance rythmique de Noel Redding et Mitch Mitchell étant proprement fantastique.
Will I live tomorrow ? / Well I just can’t say / But I know for sure / I don’t live today
I don’t live today
La variété de l’inspiration hendrixienne lui permet d’exceller dans tous les registres qu’il aborde. On le retrouve ainsi régénérant les racines du blues sur le formidable Red house ou sur l’emblématique Hey Joe, tellement emblématique qu’on en oublie qu’il s’agit d’une reprise. Hendrix se charge aussi de mettre le feu au psychédélisme, dont il deviendra l’incarnation flamboyante, avec des morceaux aussi hors normes que Foxey lady, Purple haze ou l’enfumé Are you experienced, qui use à son tour des manipulations de bandes chères aux Beatles et à George Martin. Avec Third stone from the sun, Hendrix livre un jam instrumental allant embrasser les formes libérées du jazz tandis que les éructations de larsens ne manquent pas d’annoncer des groupes comme Sonic Youth. Le bonhomme garde également sous le coude une ballade à fendre les cœurs comme The wind cries Mary ou une bordée de morceaux dynamites tel l’extraordinaire I don’t live today. L’ensemble du disque baigne dans une sensualité affolante, Hendrix ne manquant pas une occasion de se référer à plusieurs reprises au sexe, usant de sa guitare comme d’une partenaire dont il saurait lui seul provoquer la jouissance (ne pas oublier qu’on parle ici d’un type qui pratiquait le cunnilingus sur son instrument).
A broom is drearily sweeping / Up the broken pieces of yesterday’s life / Somewhere a queen is weeping / Somewhere a king has no wife / And the wind, it cries Mary
The wind cries Mary
Pour toutes ces raisons – et bien d’autres encore – on ne cessera donc de se laisser inonder par la lave hendrixienne, légende vivifiante valant bien mieux que quelques clichés sympathiques mais bien trop rigides pour contenir l’énergie débordante de cet artiste majuscule.