Le feu sacré
The Pale Fountains Pacific street (1984, Virgin)
Foin des bons disques, des très bons disques ou des excellents disques, j’aborderai ici un authentique chef-d’œuvre, un de ces albums inestimables qu’on emporterait certainement sur une île déserte et qu’à tout le moins on écoutera le cœur serré jusqu’à nos derniers jours. Car Pacific street est bien de cette trempe-là, campant sans aucun doute parmi les 15 ou 20 meilleurs disques que je connaisse, et ce près de quinze ans après sa découverte.
Les Pale Fountains se forment à Liverpool au début des années 1980 autour de deux frères, John et Michael Head. En 1982, le groupe enregistre un premier single Something on my mind, tellement remarqué que Virgin leur propose de suite un pont d’or pour lui permettre de sortir son premier album. Après une longue gestation – qui fera malheureusement retomber le buzz et les privera d’un succès pourtant tellement mérité – Pacific street sort en 1984 et c’est un disque immense.
Outre sa magnifique pochette, ce disque est un chef-d’œuvre insurpassable, moisson miraculeuse réalisée dans les champs de la pop par un duo d’innocents aux mains pleines conduit par Michael Head, génie fragile et bouleversant. Alors que la pop et le rock se faisaient alors volontiers froids et synthétiques dans les paysages dévastés du post-punk, les Pale Fountains jouaient une musique profondément organique, mariant les trompettes en majesté de Love aux doux ressacs de la bossa brésilienne, rêvant depuis la côte grise de Liverpool des soleils et des lunes décrochés par les Byrds, les Beatles ou Burt Bacharach. Tout au long de ce disque superlatif, le groupe enchaîne ainsi les mélodies pop les plus audacieuses, jouées le sourire aux lèvres mais un voile sur les yeux, avec un mélange de candeur et de fièvre rarement entendu. Avec l’insolente facilité des enfants surdoués, les Pale Fountains délivrent ici de prodigieuses chansons de bois vert, dans lesquelles court une sève vive et amère, comme s’ils savaient n’avoir devant eux qu’un seul printemps.
Difficile alors de ressortir un morceau en particulier de ce disque mirifique. L’introductif Reach place d’emblée la barre très haut avec son incipit susurré contre un doux arpège de guitare acoustique, avant que la chanson ne démarre en boulet de canon, claquant comme un élastique pour nous laisser cheveux au vent et yeux brûlants. L’exceptionnel Something on my mind prend la suite avec sa guitare flamenco grattée à même le nerf qui se transforme en bossa surréelle, portée par des trompettes jamais entendues depuis Love. Après ce magistral diptyque, le reste de l’album continue de planer dans les hautes sphère. On retiendra notamment le merveilleux rêve éveillé de Beyond Fridays field, les trompettes fiévreuses et glorieuses de l’immense You’ll start a war, le romantisme débridé de Palm of my hands, la tendre beauté de Crazier ou le lyrisme incendiaire de Thank you servi en fin de disque pour achever l’auditeur, estomaqué par tant de beautés.
Cet album époustouflant ne connaîtra malheureusement qu’un retentissement public sans commune mesure avec sa beauté abrasive. La musique des Pale Fountains était peut-être trop éloignée des canons synthétiques alors en vigueur, même si d’autres esthètes anglais regardaient alors comme eux du côté des airs caraïbes et sud-américains (Everything But The Girl, It’s Immaterial). Le groupe fera paraître un second opus en 1985, From across the kitchen table, moins brillant mais parcouru encore d’impériales fulgurances. Las, là encore, l’échec public sera patent. Face à l’insuccès, les Pale Fountains vont peu à peu se déliter, Michael Head sombrant dans la drogue et la dépression – comme d’autres génies cramés de Liverpool (les La’s par exemple). Peu à peu, Head va cependant refaire surface au cours des années 1990, formant avec son frère John le groupe Shack. Celui-ci sortira un disque de bric et de broc, Waterpistol en 1995, album bancal mais toujours irradié du génie cabossé de Michael Head. En 1997, ce dernier publie un disque solo, le très beau The magical world of the Strands avant de ranimer Shack qui sortira plusieurs albums au cours des années 2000, comme le magnifique Here’s Tom with the weather en 2003. La dernière aventure discographique connue du groupe date déjà de 2007, ce Zilch que je n’ai pas eu l’heur d’écouter. Michael Head nous manque…
Une merveille que ce premier disque, et comme tu dis il est presque impossible de placer un morceau au dessus des autres. Allez, je voterais bien pour Faithful Pillow et Palm Of My Hand… mais Reach me fait toujours bondir également. Dommage qu’il n’ait pas su/pu poursuivre sur le même niveau, même si je sauve avec plaisir Jean’s Not Happening (superbe riff).
Petite préférence pour “Reach” ou “Something on my mind”. Certes, le suivant est moins bien (mais difficile de faire mieux en même temps) mais il vaut quand même la peine. J’aime bien aussi certaines chansons de Shack qui sont vraiment fabuleuses.