Les voyageurs sans hâte

Mojave 3 Out of tune (1998, 4AD) et Excuses for travellers (2000, 4AD)

Mojave 3 - Out of tune
Mojave 3 - Excuses for travellers

Un des grands mérites de la profusion musicale disponible de nos jours sur les plate-formes du Web, c’est de permettre d’explorer à volonté (ou presque, ne sous-estimons pas les manques et les limites) la discographie d’un groupe en deux temps, trois mouvements, et d’accorder ainsi aux mélomanes le plaisir sans fin de combler leurs lacunes, d’étendre le périmètre de leur culture musicale en largeur et en profondeur. On se retrouve ainsi à assembler les pièces de centaines de puzzles en simultané, promesse jamais déçue de bonheurs infinis. Me voilà donc ces derniers temps immergé dans la pop-folk cotonneuse des Anglais de Mojave 3, moi qui n’en avais jusqu’à lors saisi que quelques (fort agréables) bribes.

You said why are we here / Your motives aren’t clear / This room with a view / And so much of you / Is far from here

In love with a view

Échappés de l’aventure Slowdive, Neil Halstead et Rachel Goswell avaient doucement chamboulé nos petits coeurs sensibles avec leur superbe Ask me tomorrow de 1995, merveille de pop-folk translucide jouée au ralenti. J’avais retrouvé Mojave 3 il y a quelques années avec le très réussi Spoon & rafter de 2003 mais j’avais manqué les étapes intermédiaires entre ces deux jalons de leur discographie, et donc raté quelques épisodes de l’évolution musicale du groupe. Celle-ci fut, comme l’auditeur déjà séduit par le charme engourdi de leur premier opus pouvait s’y attendre, menée sans hâte ; elle n’en fut pas moins réelle.

This town don’t need drunkcards / Or singers of bad poetry / They need dancing and drugs and laughter / And we don’t have them

Prayer for the paranoid

Trois ans après Ask me tomorrow, Mojave 3 revenait aux affaires avec un Out of tune qui secouait un brin sa prime indolence. Il faut dire que la  pente pouvait s’avérer risquée, l’ankylose et la sclérose menaçant de définitivement geler leur musique somnambule. Pas question pour autant pour Halstead de chambouler de fond en comble son songwriting. Ses influences s’ancrent plus que jamais dans le folk-rock américain, faisant de Mojave 3 une réelle anomalie de l’autre-coté de la Manche, un peu comme les regrettés Sunhouse en leur temps. Halstead a visiblement beaucoup écouté Bob Dylan, Neil Young et Leonard Cohen (qui l’en blâmerait ?), mais aussi les Cowboy Junkies ou Mark Kozelek. Mais sur Out of tune, Halstead choisit d’ouvrir les fenêtres et de laisser entrer le soleil comme le suggère la pochette. Il donne davantage de souffle à ses chansons, en allant parfois lorgner du côté des grands espaces du Band comme sur l’excellent Who do you love introductif. On retrouve même un Mojave 3 presque allègre le temps d’un Keep it all hid ou d’un Some kinda angel clair comme de l’eau de roche. All your tears ou le merveilleux To whom should I write final semblent avoir baigné dans la lumière divine tombée des frondaisons du Bryter layter de Nick Drake tandis que Give what you take creuse le sillon tracé par le génial Where’s the love ? figurant sur le premier album du groupe, confirmant que les chansons de Mojave 3 ne sont jamais aussi belles que quand les chants de Goswell et Halstead se mêlent. Malgré ces vrais bons moments, Out of tune ne retrouve pas tout à fait le charme de son prédécesseur, à la beauté diaphane plus touchante.

Wendy gets high for the 2nd show / I watch her dance and I watch her flow / For a dollar /She dreams of Vegas and the desert trips /Where she can dance and she can make /A lot of money

My life in art

Excuses for travellers apparaît à la suite presque comme une synthèse des deux premiers albums de Mojave 3. L’introductif In love with a view débute ainsi comme une perle extraite de Ask me tomorrow avant de progressivement gagner en ampleur pour finalement décoller comme un ballon multicolore. Sur ce disque, Mojave 3 retrouve à l’occasion la torpeur languide qui nimbait les grandes heures de son premier opus, comme sur le splendide My life in art qui se déploie au ralenti, sublime et ensommeillé, et dont les notes d’harmonica nous enveloppent comme un doux plaid posé sur nos épaules. On retrouve ce plaisir de la lenteur sur le « cohénien » en diable She broke you so softly ou ce Prayer for the paranoid, empli d’auto-dérision chloroformée. D’un autre côté, Mojave 3 livre des morceaux quasi enjoués, comme ce Return to sender aux réminiscences beatlesiennes ou ce Any day will be fine presque soul avec ses cuivres chauds juste ce qu’il faut. Sur Excuses for travellers, Mojave 3 enrichit sa palette musicale et fait entrer dans sa musique de nouveaux instruments, ajoutant aux claviers et à la pedal-steel l’harmonica, les cuivres ou un banjo divin qui vient enluminer le formidable Trying to reach you, qui semble vouloir dire d’un même élan mille douleurs et l’horizon. Bringin’ me home file comme un trait et rappelle que la voix de Goswell est décidément trop peu mise en avant et l’album se termine par le gospel rassurant de Got my sunshine, qui évoque pour boucler la boucle le coucher de soleil illustrant la pochette d’ Out of tune.

And whom should I think of / When closing the door / Yeah to whom should I think of / Which smile should I ride / To whom should I write

To whom should I write

Le groupe poursuivra sa mue – avec plus ou moins de bonheurs – sur Spoon & rafter mais c’est une autre histoire. On reviendra certainement aussi sur la carrière solo de Neil Halstead qui vaut elle aussi le détour.

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