Une voix et des fantômes

Alela Diane The pirate’s gospel (2007, Holocene Music)

Alela Diane - The pirate's gospel

Sur Tired feet, splendide morceau d’ouverture du premier album de cette Américaine d’alors 23 ans, on peut entendre ces paroles : « Although I’ve never been here / I know that here I’ve swam before (…) / Here I’ve sung before ». Ces quelques mots pourraient constituer une parfaite métaphore de ce qui semble se jouer ici, au fil de ce disque sans âge qui parvint néanmoins à combiner par surprise enthousiasme critique et succès public, notamment en France.

Alela Diane semble en effet se baigner en aval du grand fleuve de la musique populaire nord-américaine, héritière émancipée d’une tradition séculaire. Souvent, dans les chansons d’Alela Diane, des voix fantômes viennent accompagner le chant majestueux de la jeune femme, que celle-ci dédouble sa propre voix comme pour faire résonner son âme ou qu’un chœur d’enfants débarque impromptu (Pieces of string). Dans ces moments-là, Alela Diane semble trôner au centre d’une chorale d’esprits. On y entend les chants de générations entières, ceux des pèlerins joués au coin du feu, ceux entonnés pour se prémunir du danger ou raconter les peurs (The rifle), ceux qu’on se transmet de mère en fille comme un talisman (Oh my mama). La famille est d’ailleurs ici omniprésente, papa Diane accompagnant sa fille sur une bonne partie des morceaux tandis que les références à cette tradition musicale familiale se retrouvent ici et là, du déjà mentionné Oh my mama à ce « Will I play the guitar / Like my father does » dans le couplet de Heavy walls.

Chez Alela Diane, la musique est donc affaire de transmission et de tradition. Mais il ne faudrait pas pour autant réduire la jeune femme à une musicienne taxidermiste, embaumant de vieux airs pour le plaisir des brocanteurs. Alela Diane se révèle songwriter de premier plan, alignant des compositions brûlant d’une intensité et d’une force peu communes, portées par une voix à la fois majestueuse et coupante, qui impose le silence autour d’elle. Comme d’autres avant elle (du Beck de One foot in the grave à l’intouchable premier album des Palace Brothers), Alela Diane incarne la vitalité d’un genre musical inépuisable.

Parmi les hauts faits d’un disque qui n’en manque pas, on se contentera de mentionner l’impressionnant triptyque initial – Tired feet, The rifle et The pirate’s gospel – à l’effet érectile immédiat pour tout système pileux raccordé à un cœur et une paire d’oreilles en ordre de marche. On appréciera les notes presque enjouées de Something got awry (qui rappelle quelques airs précieux de Gillian Welch) et l’on se perdra dans les méandres de l’inquiétant Clickity clack. On se laissera surtout décoiffer par la force brute de l’impressionnant Gypsy eyes, cheval de feu arpentant les terres noires du folk.

Alela Diane a depuis fait paraître deux albums : To be still en 2009 et Alela Diane & the Wild Divine cette année 2011.

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