La terre et l’eau
François & the Atlas Mountains E volo love (2011, Domino)
Il m’aura fallu un peu de temps pour considérer sérieusement le cas de ce groupe au nom improbable. J’avoue être complètement passé à côté des premiers albums du combo, du confidentiel The people to forget de 2006 à Plaine inondable en 2009. Il y eut ensuite cette chanson qui leur valut un début de reconnaissance publique, Les plus beaux, dont le refrain me semblait presque niais (“Soyons les plus, soyons les plus beaux”) mais dont se dégageait un charme certain qui m’a depuis proprement ensorcelé. L’écoute de ce formidable E volo love me démontra qu’on avait ici à faire à un gisement de beautés d’une richesse étonnante, et le dernier album en date du groupe, Piano ombre, paru il y a quelques semaines, l’a entièrement confirmé.
Je le sais, chacun de tes gestes / Abrite un vent calme / Prêtes-moi ton châle / Que je n’y prenne pas mal / Et dénuder ton cou / C’était un stratagème / Pour l’ouvrir aux lèvres / Pour y glisser les dents
Les plus beaux
Originaire de Saintes, François Marry s’installe à Bristol, Angleterre, en 2003. Il fraie avec la scène locale et publie quelques enregistrements en solo sur des labels du coin. Après avoir perdu son emploi, il retourne sur sa terre natale et regroupe autour de lui les Atlas Mountains. Plaine inondable, paru chez les Bordelais de Talitres, permet au groupe de se faire remarquer au point de devenir la première signature française d’un des labels phares de l’indie-rock, Domino, sur lequel paraît donc ce magnifique E volo love en 2011.
A l’ombre d’une estrade, tu t’assiéras / Tu regarderas tomber des types musclés / Et tu penseras à nous, tu nous noieras
Piscine
François & the Atlas Mountains livre ici un bel exemple de pop sans collier, joliment et subtilement métissée. Car si l’on retrouve une filiation évidente avec quelques grands noms de la chanson d’ici – à commencer par Dominique A – , François Marry et sa troupe balaient un spectre musical bien plus vaste, allant de la pop-rock indie anglo-saxonne (Radiohead sur Buried treasures ou les Smiths) à la musique africaine, ledit François ne cachant pas son amour pour la musique éthiopienne notamment. Un air chaud venu d’au-delà de la Méditerranée souffle donc sur nombre de ces morceaux, irriguant de son souffle les percussions rythmant des titres comme Les plus beaux ou Azrou tune. Le groupe parvient à combiner habilement toutes ces influences pour donner corps à une pop semblant sans cesse naviguer entre la terre et l’eau, sur la plage ou sur les rives des fleuves, ces territoires mouvants entre ces deux éléments ici omniprésents. Qu’il soit question de boue (Muddy heart), de ponts (Cherchant des ponts) ou de baignade (Piscine), l’eau et la terre sont ici indissolublement liées, forces nourricières charriant leur lot de mystères et de lumières particulières. Les (magnifiques) chansons de ce E volo love affichent donc un fascinant caractère composite, semblant emmener l’auditeur dans un drôle d’univers flottant d’une beauté souvent éclatante. Le mélange de l’anglais et du français – souvent à l’intérieur d’une même chanson – et le chant particulier de François Marry ajoutent encore à ce caractère joliment insaisissable. On n’oubliera pas non plus de célébrer la poésie de textes régulièrement magnifiques.
Nous cherchons des ponts, des passeurs / Des poseurs de lignes de fond nous ont avertis : “Ces eaux sont troubles et profondes, elles vous emporteront / Restez donc sur la rive, le jour tombe”
Cherchant des ponts
Parmi les grands mérites de cet album profond et ondoyant, on retiendra déjà le formidable carré de chansons placé à son entrée, du céleste et vaporeux Les plus beaux au somptueux City kiss (aux relents smithsiens) en passant par le déhanchement félin de Edge of town et la grâce ineffable de Muddy heart, qui semble aller puiser à la source grandiose du All tomorrow’s parties immortel du Velvet Underground & Nico. Mais le groupe ne se limite pas à cette remarquable entame, alignant au fil du disque des joyaux tels que le fabuleux Cherchant des ponts, partagé avec la toujours impeccable Françoiz Breut, faisant planer du même coup le fantôme de Dominique A. Sur Bail éternel, le groupe s’aventure vers des territoires électro-pop évoquant les grandes heures de Sébastien Tellier tandis que Piscine se conclut carrément par un coda lorgnant vers la dance-music. Sous ses atours d’une grande fluidité, E volo love – à l’instar là encore du monde aquatique – ne manque pas de profondeur, masquant sous son cours limpide des écueils et des courants traîtres. L’amour est fugitif, nous régénère mais glisse entre nos doigts et peut nous emmener par le fonds. La fausse innocence d’un morceau comme Piscine ne manque pas de le rappeler. Et c’est cela qui fait tout le sel de ce disque qui semble s’enrichir à chaque écoute, ensorcelant comme le chant des sirènes ou le saxophone qui irradie le langoureux et fascinant Azrou tune.
Tes allures le soir / Et si je t’emmenais entre deux rues, une pièce, un endroit / Une chambre où s’embrasser
City kiss
Sur Buried treasures, François Marry chante : “Buried treasures are lost into the earth”. En chercheurs d’or, François & the Atlas Mountains semble s’évertuer à les déterrer pour en porter la beauté au grand jour. Leur tout nouveau Piano ombre en atteste encore d’une éclatante façon.
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[…] un sublime premier album largement célébré dans ces pages et dont on n’a pas fini de faire le tour, le Charentais François Marry – toujours […]