Les tueurs
Accrochez-vous aux rideaux, bouclez portes et fenêtres : je vous propose ce soir une playlist emplie de frissons et de sueurs froides, toute dédiée aux tueurs (souvent en série), aux meurtriers, aux assassins. Le choix fut délicat, de sérieux candidats ont été recalés à l’entrée (Ferré ou les Stones) mais les dix chansons sélectionnées pour vous par mes petites mains innocentes devraient vous faire dresser les cheveux sur la tête ou les poils sur les bras. Ce soir, le crime est au coin de la rue.
1. Talking Heads Psycho killer (1977, ’77)
A tout saigneur, tout honneur : il était difficile de consacrer une playlist aux meurtriers psychopathes sans y faire figurer ce classique absolu trônant sur le formidable premier album des New Yorkais. Sur une ligne de basse devenue mythique, David Byrne endosse à merveille le rôle de l’assassin fou à lier, dont la raideur mécanique masque à grand peine les convulsions et les instincts morbides. « I hate people when they’re not polite » : on se dit qu’on a intérêt à ne pas froisser le monsieur, sinon, il ne donnera pas cher de notre peau.
2. Thomas Fersen Monsieur (1999, Qu4tre)
J’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de confesser dans ces pages mon admiration pour la chanson barrée et décalée de Thomas Fersen. Monsieur marque à mon sens la quintessence de l’art riche et précieux du bonhomme, avec ce portrait rempli d’humour noir d’un homme comme-il-faut passant ses loisirs à trucider son prochain. La musique est à l’avenant d’un texte proprement admirable, avec des arrangements de cordes à tomber posant une atmosphère digne de Danny Elfman. Du grand art, tout simplement.
3. Sufjan Stevens John Wayne Gacy Jr (2005, Illinoise)
Si les Talking Heads et Thomas Fersen se placent résolument du côté de la fiction, Sufjan Stevens évoque ici un authentique tueur en série, le « Clown killer », John Wayne Gacy Jr qui assassina plus d’une trentaine de jeunes garçons dans les années 1970. Sur cette base proprement horrible, Stevens réussit à bâtir une des plus belles chansons qui soit, merveille de douceur à fendre en deux le coeur des plus endurcis. Le bonhomme confirme ainsi, s’il en était besoin, qu’il était sans conteste l’un des plus prodigieux faiseur de miracles de la pop d’aujourd’hui.
4. Morrissey Jack the ripper (1992, Certain people I know [single] )
Ils sont quelques-uns à s’être inspirés de l’histoire de Jack l’Éventreur et on aurait pu retenir notamment ici la chanson de Nick Cave. Mais c’est bien cette adaptation de Morrissey qui nous est resté, dialogue pervers et menaçant entre le boucher victorien et une de ses victimes. Morrissey s’y entend comme personne pour adopter un ton suave et menaçant (« You don’t agree but you don’t refuse »), tandis que les guitares tournoient comme pour enserrer la pauvre victime dans une toile dont elle ne pourra plus sortir.
5. Nick Cave & the Bad Seeds Stagger Lee (1996, Murder ballads)
Il était difficile de ne pas faire figurer Nick Cave dans une playlist dédiée aux assassins, le bonhomme ayant consacré un album entier à la thématique du meurtre et des meurtriers en 1996. C’est sur ces venimeuses Murder ballads qu’on trouvera ce Stagger Lee tellurique, reprise explosive d’un classique de la chanson traditionnelle américaine. Le morceau raconte l’histoire vraie de Lee Shelton, proxénète noir qui s’en alla tuer son ami William Lyons. Cave et ses mauvaises graines confèrent à la chanson une force brute impressionnante et toute la malignité nécessaire pour la porter à incandescence. Attention, ça brûle !
6. Neil Young Revolution blues (1974, On the beach)
Pas étonnant de trouver ce morceau évoquant Charles Manson et sa clique de fanatiques sur ce disque malade et méchant qu’est On the beach. Un Neil Young teigneux au possible enfourche ses guitares les plus brûlantes pour semer terreur et désolation dans le Laurel Canyon de l’époque : « We got 25 rifles, just to keep the population down ». Young enterre le rêve hippie sur l’un des sommets de sa fameuse « Ditch trilogy ». Impitoyable comme dirait Clint Eastwood.
7. Eminem Kim (2000, The Marshall Mathers lp)
Sans doute un des titres les plus effrayants de l’histoire de la musique populaire qu’on pourrait sans problème sous-titrer « 5 minutes dans la tête d’un tueur psychopathe ». Eminem se met dans la peau (à la première personne) d’un type qui séquestre et tue sa petite amie accusée de l’avoir trompée. Le texte est ahurissant, le flow agressif et flippant, l’ambiance lugubre et le résultat est proprement saisissant. Quant on saura que Kim était aussi le prénom de sa femme de l’époque, on se rendra compte à quel point le génial rappeur pouvait pousser le bouchon. Provocant, dérangeant mais réellement incontournable.
8. Sun Kil Moon Richard Ramirez died today of natural causes (2014, Benji)
Richard Ramirez fut un serial killer qui sévit au milieu des années 80 entre Los Angeles et San Francisco, s’introduisant dans les maisons pour tuer, voler, violer et laisser des symboles sataniques sur les murs. Ce « night stalker » fit réellement régner la terreur sur la région entre 1984 et 1985 avant d’être finalement arrêté. Formidable conteur et songwriter, l’immense Mark Kozelek (ex-Red House Painters) prend prétexte de l’annonce de la mort en prison de Ramirez en 2013 pour comme il le dit lui-même, dresser une sorte de bilan de sa vie à cet instant marquant : « Richard Ramirez died today of natural causes / These things mark time and make us pause / Think about we were kids scared of taps on the window / What’s under the bed and what’s under the pillow ». Et le constat est ma foi peu reluisant : le temps passe, les gens vieillissent et meurent, la vie s’écoule et l’on s’accroche. Grande chanson d’un songwriter malheureusement trop méconnu.
9. Miossec Planter des primevères (1995, Boire)
On revient dans un registre plus proche du second degré et de l’humour noir avec ce morceau « caché » qui venait clore le formidable premier album de notre attachant Breton. Miossec se grime en tueur de femmes, rapidement débusqué par la police non sans avoir trucidé quelques dames et les avoir enterré dans son jardin (d’où le titre). Pas le meilleur titre du chanteur mais une sympathique poussée de fièvre.
10. The Smiths Suffer little children (1984, The Smiths)
Comment ne pas terminer avec ce titre exceptionnel, l’un des plus émouvants du répertoire gigantesque des adorés Mancuniens. Morrissey se réfère ici aux « meurtres des Moors », suite de crimes d’enfants perpétrés au mitan des années 1960 à Manchester par le couple diabolique, Myra Hindley et Ian Brady. Morrissey donne ici la parole aux fantômes des enfants disparus pour composer une élégie bouleversante, une sorte de berceuse mortuaire qui serre la gorge aussi fort à chaque écoute. A partir de ce sordide faits divers, Morrissey jette l’anathème sur tous les adultes qui n’ont pas su protéger leurs enfants, et l’on se doute des résonances intimes que peut avoir cette thématique sur le bonhomme : « You might sleep but you will never dream ». Poignant.