La base américaine
Alain Bashung Osez Joséphine (1991, Barclay)
Où en est Bashung au moment de la sortie d’ Osez Joséphine – son huitième album – en 1991 ? Commercialement, le bonhomme n’a plus connu de hit majeur depuis les triomphes successifs de Gaby et Vertiges de l’amour en 1980-1981, se contentant de quelques succès d’estime (SOS Amor, Malédiction). Artistiquement, sa cote n’est pas mauvaise, loin de là, mais il n’est pas encore devenu cette sorte de Statue du Commandeur d’une partie de la scène d’ici. Il faut dire que notre homme se plait à brouiller les cartes, rarement là où l’on pourrait l’attendre, depuis le chantier de ravalement au vitriol de la chanson française mené en 1982 sur Play blessures. On pourrait donc considérer que le chanteur se trouve un peu entre-deux-eaux.
Au large les barges se gondolent dans le roulis / Ici on suit des bikinis / Les jours de grève le sable s’ennuie / On se prélasse dans les grandes surfaces / Là où se pressent les huiles et les bigorneaux
J’écume
Deux ans après un Novice dont les sonorités new-wave faisaient écho aux paysages cabossés de Play blessures, Osez Joséphine voit Bashung renouer avec une certaine forme de classicisme. Il délaisse les frimas synthétiques de son précédent opus pour s’offrir la réalisation d’une sorte de fantasme américain empreint des musiques qu’il écoutait dans sa jeunesse et qui l’ont en grande partie construit : du rock “roots” de Buddy Holly ou de Gene Vincent au blues, au folk et à la country.
Peu à peu tout me happe / Je me dérobe je me détache / Sans laisser d’auréole
Happe
Enregistré à Memphis, Tennessee, Osez Joséphine fait ainsi la part belle aux guitares, notamment celle de Sonny Landreth dont le riff fait vibrer la cavalcade électrique du désormais classique Osez Joséphine. Sur les meilleurs titres de l’album, l’auditeur embarque avec Bashung dans une Amérique un brin cliché mais tellement désirée, celle de routes filant à perte de vue sous un soleil de plomb, celle de la poussière et des cactus. Osez Joséphine montre un Bashung commençant à prendre les traits d’une sorte de Johnny Cash français, s’emparant d’une musique d’ailleurs avec une impeccable élégance, sans tomber dans la caricature. C’est cette élégance qui habite le ressac du blues introductif J’écume ou l’impérial et aérien Volutes qui se déploie et bat des ailes comme une sorte de papillon mutant. Happe est repeinte en bleu nuit par la grâce de quelques accords de steel-guitar tandis que Les grands voyageurs se fait plus rugueuse, arpentant des territoires désertiques le pas lourd et la sueur au front. Pour bien marquer le côté “hommage” du disque, Bashung multiplie les reprises (assez sages) comme autant d’actes d’allégeance, de Buddy Holly (Well all right) à Bob Dylan (She belongs to me) en passant par le Nights in white satin des Moody Blues. Et pour être honnête, si Bashung ne cède jamais à la caricature, l’album prend parfois des teintes d’exercice de style qui en affadissent quelque peu les beautés. Et c’est quand Bashung quitte son rêve américain qu’il touche au sublime avec cet inépuisable Madame rêve, et ses cordes à se pendre, chef-d’œuvre enfumé, empli de sexe, de nuit et de beauté.
Madame rêve d’atomiseurs / Et de cylindres si longs / Qu’ils sont les seuls / Qui la remplissent de bonheur / Madame rêve d’artifices / De formes oblongues / Et de totems qui la punissent
Madame rêve
Avec le recul, Osez Joséphine – outre le fait de fournir à Bashung un nouveau grand succès commercial – semble surtout marquer le début d’une formidable ascension qui le conduira progressivement loin au-dessus de la mêlée pour culminer avec les chefs-d’œuvres que seront Fantaisie militaire et L’imprudence, disque réellement démarré des contingences terrestres. Et cet album ressemble alors à un repli temporaire sur ses bases américaines, comme pour vérifier les fondations avant de se lancer à l’aventure, d’aller explorer des terres inconnues. On y reviendra très vite.
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[…] d’avoir percé les mystères de ce titre unique, anomalie taillée dans la nuit figurant sur un album bâti sous haute influence de la musique américaine. Madame rêve demeure ce monolithe noir dont émanent mille lumières, selon l’angle sous […]