Costume noir de rigueur
Interpol Turn on the bright lights (2002, Matador)
Pour les – vraiment – plus jeunes de mes lecteurs ou les moins portés sur la chose rock, on rappellera qu’au début de ce siècle surgit d’outre-Atlantique (et beaucoup de New York) et d’outre-Manche une vague de groupes remettant au goût du jour un rock à guitares, sec et racé, mélodique et électrique, gorgé de fantasmes et d’énergie brute à haute teneur hormonale. Tous ces Strokes, Libertines, Kills et autres Yeah Yeah Yeahs ne cachaient pas leurs références mais en jouaient avec suffisamment de talent et de fraîcheur pour tracer leurs propres voies et composer leurs propres classiques. Parmi cette flopée de groupes à guitares, les quatre new-yorkais d’Interpol ont eux résolument braqué leurs yeux et leurs oreilles vers le post-punk et la new-wave anglaise circa 1980-1084, de Joy Division aux Chameleons en passant par les Smiths.
I wish I could eat the salt off your last faded lips
Obstacle 1
Porté par des guitares coupantes et élégantes, une rythmique implacable et le chant grave et profond de Paul Banks – qui évoque immanquablement le timbre du défunt Ian Curtis – , Interpol délivre une musique sombre et romantique, dont le noir d’encre ne manque pourtant pas de refléter de fascinantes lumières. Si le groupe donne la troublante impression de sortir comme cryogénisé du début des 80’s, il se montre plutôt convaincant au final dans ce registre revival, mettant suffisamment de foi et d’urgence dans sa musique pour emporter le morceau. L’ambiance est bien évidemment plutôt ténébreuse, le groupe affichant sans fard son spleen et ses tourments, les chansons évoquant le plus souvent les malaises et les périls engendrés par les relations amoureuses.
Well, she was my catatonic sex-toy, love-joy diver / She went down down down there into the sea
Stella was a diver and she was always down
A partir de ce carburant, Interpol aligne quelques chansons de tout premier ordre, à commencer par le formidable diptyque Obstacle 1 / Obstacle 2, les deux titres les plus intenses et fiévreux de cet opus. Avec Say hello to the angels, Interpol se fait smithsien et s’en tire avec les honneurs. Sur Hands away, on pensera davantage à Cure mais aussi à des groupes comme Sigur Ros ou Mogwai, notamment pour ce goût des à-plats électriques. On ne passera pas non plus à côté du vaisseau fantôme qu’est Stella was a diver and she was always down ou de la raideur nerveuse de PDA. Et un morceau comme The new ne manque pas de charme charbonneux non plus. Alors, bien sûr, Interpol n’est pas Joy Division, référence bien trop écrasante. Le groupe semble parfois surjouer la noirceur et prendre la pose du romantique tourmenté vêtu de noir. Certaines chansons pèchent par ailleurs par un certain hiératisme, une certaine rigidité qui corsète un peu la musique. L’album n’en demeure pas moins un très bon disque de rock à guitares, tendu et habité. Je me rappelle d’une interview du dessinateur mélomane Luz qui disait aimer les revivals parce qu’ils permettaient de faire redécouvrir périodiquement aux jeunes générations des pans de l’histoire de la musique. Interpol semble se situer dans cette optique-là et cela n’a rien de négatif.
But I can’t pretend / I don’t need to defend / Some part of me from you / I know I’ve spent some time lying
The new
Le rock grave et enténébré des New-yorkais a depuis touché un public de plus en plus large, le groupe devenant assez énorme au fil de ses quatre albums suivants. Pour moi, le meilleur disque du combo reste sans doute leur deuxième, ce Antics de 2004 dont se dégage un fascinant halo de nuit et d’or. On y reviendra certainement un de ces jours.
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