L’étoile polaire
John Cale Paris 1919 (1973, Reprise)
Les raisons ne manquent pas de revenir ici sur ce disque monumental du non moins imposant Gallois. On pourrait citer pèle-mêle le quarantième anniversaire de sa parution, le récent décès de son ancien frère d’armes, Lou Reed, à qui Cale livra un déchirant hommage ou simplement le fait que j’avais annoncé dans ces pages que je consacrerai un jour un billet à cet album inépuisable. La seule raison valable demeure en fait la qualité exceptionnelle de ce disque et le plaisir sans cesse renouvelé de l’écouter depuis maintenant, quoi, 17 ou 18 ans, que je le connais.
I don’t care / People always bored me anyway
Half past France
En 1973, John Cale affiche déjà une carte de visite impressionnante à l’approche de ses 32 ans. Après avoir frayé avec l’avant-garde de La Monte Young ou Aaron Copland puis rien moins que révolutionné la face du rock avec le Velvet Underground dont il se fera éjecté sans ménagement par Reed après deux albums fondamentaux, John Cale se lance dans une carrière solo en 1970 avec Vintage violence. Après deux disques le rapprochant de la musique contemporaine, Cale revient à une tonalité bien plus pop avec Paris 1919, disque pour lequel il embarque le producteur Chris Thomas (Beatles, Procol Harum, Pink Floyd…), des membres du groupe Little Feat et l’orchestre symphonique d’UCLA. Le résultat est proprement fabuleux.
She makes me so unsure of myself / Standing there but never ever talking sense / Just a visitor you see / So much wanting to be seen / She’d open up the door and vaguely carry us away
Paris 1919
Après le cuir et les lunettes noires du Velvet Underground, on retrouve John Cale vêtu ici d’un costume blanc et affectant une pose de dandy. Le titre du disque se réfère à la conférence de paix de Paris qui suivit la Première Guerre Mondiale et déboucha sur le traité de Versailles, mais la référence est plus une toile de fond qu’autre chose. A l’écoute, Paris 1919 s’apparente bien plutôt à une étonnante fantasmagorie, Cale entremêlant vagues évocations historiques (“The continent’s just fallen in disgrace”) et poésie surréaliste, le tout parcouru de toute une galerie de personnages réels (Graham Greene) et fictifs (“Old Hollweg”, la Gloria Swanson de Sunset boulevard sur Antarctica starts here).
Nothing frightens me more / Than religion at my door / I never answer panic knocking, falling / Down the stairs upon the law / What law
Hanky panky nohow
Au final, Cale réussit un authentique chef-d’œuvre de pop grand siècle, dont la distinction et la classe éblouissantes ne masquent pas pour autant les profondes fêlures. Et sous l’aspect onirique de l’ensemble, Cale glisse des éléments on ne peut plus personnels. L’album s’ouvre ainsi par un Child’s Christmas in Wales pétri de souvenirs d’enfance et empli d’une nostalgie vivace. Le morceau alterne réminiscences country et pop baroque à la Procol Harum, un orgue magistral venant notamment bâtir un pont majestueux. En à peine plus de 30 minutes, Cale réussit le tour de force de placer une bonne demi-douzaine de vrais chefs-d’œuvres, de la splendeur de Hanky panky nohow qui semble trôner dans l’empyrée au fantasque Graham Greene, de la superbe moutonnante de The endless plain of fortune à la froideur enveloppante du terminal Antarctica starts here. Trône également au milieu du disque Paris 1919, le morceau, pièce magistrale pour cordes et piano dont le refrain presque extatique dresse une haie d’honneur somptueuse au fantôme qui traverse la chanson. S’il fallait faire la fine bouche, j’avoue que je me passerais bien du rock un brin rustaud de Macbeth mais cette très légère pollution ne parvient pas à ternir l’éclat de l’ensemble.
Her heart is oh so tired now / Of kindnesses gone by / Like broken glasses in a drain / Gone down but not well spent
Antarctica starts here
Paris 1919 reste donc un véritable classique, paru d’ailleurs la même année qu’un autre grand disque malade, le Berlin de Lou Reed. Antarctica starts here répondait à “It’s so cold in Alaska” : on n’a jamais perdu de vue ces deux étoiles polaires.
Pour aller plus loin, on conseillera la lecture de cet article de JD Beauvallet consacré à Paris 1919, un de ses disques de chevet.
3 réponses
[…] du Velvet Underground, tant cette majesté grand siècle semble annoncer la magnificence du Paris 1919 de John […]
[…] Pour son propre compte, Cale livre quelques albums de haut vol, au premier rang duquel le fabuleux Paris 1919 de 1973. A la marge et inquiétant, Cale fait passer d’angoissants frissons dans […]
[…] file vers le Sud avec ce grandiose morceau de l’immense John Cale extrait de son prodigieux Paris 1919. La chanson traduit parfaitement l’espèce d’onirisme décadent qui emplit ce disque […]