Le palais des glaces
Prefab Sprout Jordan: the comeback (1990, Columbia / Sony)
Traitant il y a déjà bientôt trois ans de leur merveilleux Steve McQueen de 1985, j’écrivais que cet album m’avait permis de réévaluer la qualité d’un groupe qui ne tenait jusqu’à lors qu’une place mineure dans mon petit Panthéon pop. Réécoutant ces derniers temps ce Jordan : the comeback , que je connais depuis pourtant des années, je ne peux qu’abonder dans ce sens, les chansons du groupe de Paddy Mc Aloon semblant se draper de séductions neuves aux oreilles de l’homme que je suis devenu.
Après les critiques très positives ayant accueilli Steve McQueen, Prefab Sprout décrocha la timbale du succès public avec l’album From Langley Park to Memphis (1988), hissé au sommet des charts par les tubes The king of rock ‘n’ roll et Cars and girls. Paddy Mc Aloon décida alors de se lancer dans l’ambitieuse aventure de Jordan, dont il ne ressortirait pas indemne.
Autant détromper d’emblée les amateurs de basket, il ne sera nullement question ici des aléas de la carrière du génial basketteur américain – qui n’avait d’ailleurs à l’époque encore réussi aucun come-back. Mc Aloon et sa troupe livrent en fait un drôle de concept-album, plus ou moins centré autour des figures de Jesse James et d’Elvis Presley, alignant la bagatelle de 19 morceaux organisés en cinq “mouvements” à l’intérieur desquels les chansons s’enchaînent quasiment sans temps mort. Au fil de cette suite de “tableaux”, Mc Aloon promène ses pinceaux d’aquarelliste le long d’une impressionnante palette de styles, embrassant un spectre musical extrêmement vaste. Cristallisées par la production de Thomas Dolby, les chansons de Prefab Sprout semblent s’agglomérer pour édifier un imposant palais des glaces, habité des humeurs et fêlures du maître des lieux. Oscillant entre mégalomanie pleine de second degré (Mc Aloon endossant même la toge de Dieu lui-même sur le sublime One of the broken) et mélancolie fragile, la voix et les textes de Mc Aloon déposent sur l’ensemble des morceaux une fine couche de poussière cristalline les parant de ce scintillement si particulier.
Tout du long de ce disque, Mc Aloon rend grâce aux différents genres musicaux qui l’ont marqué, se les appropriant avec une facilité époustouflante. A côté de la pop synthétique de l’emballant Looking for Atlantis, Prefab Sprout aligne ainsi une marche aux semelles de vent (The wedding march) ou un hommage au doo-wop (Doo wop in Harlem). Mc Aloon se permet surtout de placer au cœur de l’ensemble l’exceptionnel diptyque Jesse James symphony / Jesse James bolero, enchaînement d’une ambition folle et d’une beauté sans mesure. Parmi les hauts faits d’un disque qui n’en manque pas, on mentionnera aussi les atours latinos du déchirant Carnival 2000 , la fragilité bouleversante de l’élégiaque We let the stars go ou la chaleur de neige du fabuleux The ice maiden. On pourra juste reprocher au disque quelques longueurs (surtout dans le dernier des cinq “mouvements”) mais qui pèsent finalement bien peu au regard de la qualité de la majorité des morceaux.
La suite de la carrière du groupe prendra des teintes malheureusement bien plus sombres. Comme si Mc Aloon avait ouvert avec Jordan une dernière fois les portes d’un monde clos sur lui-même, le songwriter mettra des années à refaire surface après l’achèvement de ce disque ambitieux. Enfermé dans son studio personnel, Paddy Mc Aloon semblera se perdre dans la quête d’un monde perdu sans plus pouvoir lui donner forme. Après plusieurs années de silence, Prefab Sprout fit paraître Andromeda heights en 1997 puis The gunman and other stories en 2001. Paddy Mc Aloon fut alors diagnostiqué un grave problème de santé qui l’a rendu aujourd’hui quasi-aveugle. Sa relecture acoustique des merveilles de Steve McQueen enregistrées pour la réédition du disque en 2007 ont démontré que la grâce ne l’avait pas encore quitté.
Suite à votre evenue sur mon blog je visite le vôtre à mon tour et suis très content de la découverte. Très pertinente chronique de l’album-phare du Sprout et fort belle plume pour en évoquer les beautés (belle métaphore sur le côté cristallin et fragile de l’oeuvre). De quoi me dissuader d’en parler à mon tour !
Je m’efforcerai en tout cas de revenir plus régulièrement ici ..
À bientôt 😉