La musique est (aussi) une affaire de mathématiques, on le sait bien : d’espace et de géométrie, de courbes et de volumes, mais aussi de savants calculs, d’additions et de soustractions, de chiffres et de puissances. En 10 titres, offrons-nous donc une petite leçon d’arithmétique musicale pour apprendre comment prendre du plaisir avec les nombres. 5, 4, 3, 2, 1… c’est parti !
1. Fabulous Trobadors 1 2 3 (1995, Ma ville est le plus beau park)
On débutera par un décompte basique, celui qu’entonnent les enfants sur le bout de leurs doigts quand ils apprennent à compter. La fantaisie des fabuleux Toulousains ne pouvait être mieux appropriée, eux qui troussent ici une drôle de comptine au rythme concassé mais ma foi diablement entraînante. La jouvence de ces troubadours excentriques, mêlant hip-hop, blues, airs du Brésil ou de l’Afrique et folklore occitan, conserve en tous cas toutes ses vertus. On en reprendra bien un verre…
2. Feist 1234 (2007, The reminder)
On ira jusqu’à 4 avec la Canadienne qui nous emmène en fait sur un tapis volant, tant cette chanson bulle de savon est de celles qui rendent léger, si léger… Feist réussit à faire tenir une comédie musicale en trois minutes chrono, avec trompettes, piano, cordes et un banjo baladeur du plus bel effet. Une chanson tout bonnement formidable et un tube qui fait plaisir, ce n’est pas si fréquent.
3. Cat Power 3, 6, 9 (2012, Sun)
Ça devient plus difficile, on compte maintenant de trois en trois. Avec ce Sun lumineux, Cat Power signait l’année dernière un touchant retour en grâce, même si loin des pics et crevasses arpentées lors de sa période dorée et cabossée (1996-2003). Avec sa rythmique chaloupée et son auto-tune, on tiendrait presque avec ce morceau un tube taillé pour la FM, mais la fêlure (béante) reste bien visible sous le soleil.
4. Buck 65 463 (2003, Talkin’ honky blues)
La linéarité du décompte se perd un peu mais je me voyais mal passer à côté du hip-hop hors normes du singulier Canadien (encore un), baigné de blues et de country. L’œil mauvais, le bonhomme débite ici un morceau tout empli d’agressivité agile, feulant comme un Tom Waits qui aurait attrapé la félinité de Mohamed Ali. Le crescendo final instrumental plein de guitares énervées assène le dernier uppercut et laisse l’auditeur K.O. , mais admiratif…
5. Regina Spektor The calculation (2009, Far)
Après les suites de chiffres, il est temps d’aborder les opérations et c’est Regina Spektor qui nous servira de professeure. Un peu à la manière de Feist, la russo-new-yorkaise livre ici un petit bijou de pop-song aérienne et stylée, portée par un piano et un chant d’une limpidité éclatante, qui rappelle la Joni Mitchell la plus solaire. Un vrai bonheur.
6. Radiohead 2+2=5 (2003, Hail to the thief)
Les bases de l’addition n’y sont apparemment pas mais l’écoute d’un tel morceau pourrait finalement convaincre que 2 et 2 font effectivement 5. Et qui d’autre que Radiohead pour imposer sa règle de calcul, tant ce groupe a su se forger un langage qui n’appartient qu’à lui ? Sur ce qui demeure leur dernier grand disque, le groupe d’Oxford plaçait d’entrée en jeu cette chanson immense, infectieuse, fiévreuse, volcanique, incendiaire, dangereuse et violemment instable. Du grand art, tout simplement.
7. Pavement 5-4=unity (1994, Crooked rain crooked rain)
On n’aurait pas cru l’arithmétique si propice à l’envolée et pourtant. Sur cet instrumental perché placé aux deux tiers de ce disque merveilleux (un de mes albums de chevet), Pavement fume le jazz et la pop, en fait des ronds de fumée, trace des loopings entre les nuages, fait mine de s’écraser et repart à la verticale. Le tout avec une aisance stupéfiante qui laisse donc stupéfait.
8. Pinback 3×0 (2004, Summer in Abaddon)
On ne cessera de répéter à quel point Pinback est un grand groupe méconnu, auteur avec ses deux premiers albums de deux chefs-d’œuvre aux richesses inépuisables. Placé sur leur troisième LP, ce morceau est révélateur de tout l’art « pinbackien », cette science de l’entrelacs dans lequel chaque chanson dévoile au fil des écoutes tout un monde souterrain, un peu comme ces images cachées dans d’autres images qui ne nous apparaissent que par l’insistance de notre regard. Où quand l’arithmétique se fait sortilège…
9. Gorillaz 5/4 (2001, Gorillaz)
Nous verrons la division avec Gorillaz. Si j’avoue demeurer toujours un brin mitigé avec ce groupe par trop inégal, il faut porter à leur crédit ce goût pour l’éclectisme, cette saine bougeotte, cette appétence qui meut Damon Albarn et le laisse toujours oreilles grandes ouvertes. Ici, rock, hip-hop et pop se mélangent goulûment dans une grande fête des sens, hédoniste et jouissive.
10. dEUS Little arithmetics (1996, In a bar under the sea)
Impossible de ne pas faire figurer cette chanson splendide des remarquables Belges, exposant ici leur face la plus mélodique et fragile sur ce disque patchwork de 1996. Avec sa mélodie limpide, Little arithmetics impose sa grâce et une forme de candeur qui en font tout le charme, tout le sel. Une fois de plus, les mathématiques nous émeuvent.