Perle et fond de Cale
John Cale Artificial intelligence (1985, Beggars Banquet)
Autant prévenir d’emblée que cet Artificial intelligence est loin d’être la meilleure porte d’entrée dans l’œuvre de John Cale. On pourra même affirmer à raison qu’on à ici à faire avec un disque médiocre d’un artiste majeur. L’album recèle cependant un ou deux morceaux à ne pas négliger et me permettra surtout d’évoquer ici le parcours monumental du musicien gallois.
Né d’un père mineur et d’une mère institutrice, John Cale révèle très jeune des aptitudes poussées pour la musique. Il étudie le violon et le piano à Londres puis bénéficie une bourse à l’orée des années 1960 lui permettant d’aller étudier la musique aux États-Unis. Il rejoint très vite New York et se retrouve embarqué dans les expérimentations des plus fameux avant-gardistes de l’époque. Il participe ainsi à une représentation de 18 heures des Vexations d’Eric Satie sous la houlette de John Cage puis intègre l’ensemble minimaliste de La Monte Young, le Dream Syndicate. Cale s’acoquine bientôt avec un anonyme faiseur de chansons bossant pour le petit label Pickwick, un dénommé Lou Reed. Avec le guitariste Sterling Morrison, les deux compères s’en vont alors fonder le Velvet Underground, groupe majuscule dont l’influence dans l’histoire du rock ne trouve d’équivalent qu’auprès des Beatles ou des Stones, et accessoirement sans doute mon groupe préféré de tous les temps. Cale apporte au Velvet sa science de l’avant-garde, son goût pour l’expérimentation et sa violence larvée qui instilleront dans les veines du groupe le plus brûlant des venins, le temps de deux premiers albums hors du commun. Chassé par Lou Reed, Cale entame alors une carrière d’artiste solo et de producteur influent, qui le verra aux manettes de quelques uns des meilleurs disques des années 1970, du Horses de Patti Smith au premier album impérissable des Modern Lovers. Pour son propre compte, Cale livre quelques albums de haut vol, au premier rang duquel le fabuleux Paris 1919 de 1973. A la marge et inquiétant, Cale fait passer d’angoissants frissons dans l’échine du rock tout au long de la décennie.
Les années 1980 se révèlent moins faste artistiquement pour Cale, à l’instar de ce qu’elles furent pour d’autres artistes majeurs des années 1970, de Bowie à Neil Young. Artificial intelligence se situe donc en plein dans une phase d’inspiration creuse et autant dire que ça s’entend. Sur nombre de morceaux, Cale semble étrangement absent, et les contorsions rock et les saccades de Everytime the dogs bark ou Vigilante lover se révèlent fort poussives. Le plus étrange est de voir Cale se lancer dans une pop synthétique limite grotesque, la figure grave de l’auteur de l’effrayant Fear is a man’s best friend, qui alla jusqu’à décapiter un poulet vivant sur scène, jurant quelque peu au milieu des chœurs bébêtes de Satellite walk ou du pénible Fadeaway tomorrow. Cale se laisse même aller au grand n’importe quoi avec le salmigondis de Chinese takeaway (Hong Kong 1997), instrumental sans queue ni tête qui laisse franchement perplexe. Heureusement, le génie ne se perd jamais tout à fait et Cale parvient à sortir la tête de l’eau le temps du beau Black rose ou du troublant The sleeper, qui semble anticiper les pistes musicales empruntées par Leonard Cohen à peu près à partir de cette période. Tout cela serait quand même bien peu de choses si n’était cet extraordinaire Dying on the vine, qui dépasse de plusieurs têtes le reste des titres de l’album. Cale retrouve le registre tragique qui lui sied si bien sur ce morceau d’une puissance peu commune, hanté par la mort et la décrépitude (« I’ve been chasing ghosts / And I don’t like it »). Rien que pour ce titre impérial, époustouflante fin de parcours semblant sceller les maux de toute une vie d’un dernier geste glacial, on recommandera de jeter une oreille sur cet album.
Cale retrouvera une certaine vigueur artistique vers la fin des années 1990, avec le symphonique Words for the dying (1989), majestueuse mise en musique de poèmes de Dylan Thomas puis l’album hommage à Andy Warhol commis avec son frère ennemi Lou Reed, ce Songs for Drella de 1990. J’avoue ne pas avoir écouté quoi que ce soit de Cale depuis ce disque-là, à l’exception de sa prodigieuse relecture du Hallelujah de Leonard Cohen. John Cale évolue désormais plutôt à la marge de l’univers du rock, malgré quelques disques par-ci par-là, exerçant plutôt dans le domaine des musiques de films (pour Xavier Beauvois ou Philippe Garel notamment) ou de la musique classique. Cale a redonné quelques nouvelles cette année en rejouant l’intégralité de son légendaire Paris 1919 à la salle Pleyel à Paris début septembre. Méconnu du grand public, John Cale n’en demeure pas moins un des artistes les plus influents de l’histoire du rock, de par son rôle fondamental au sein du Velvet Underground, ses meilleurs disques solo et son travail de producteur.
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[…] Lou Reed, à qui Cale livra un déchirant hommage ou simplement le fait que j’avais annoncé dans ces pages que je consacrerai un jour un billet à cet album inépuisable. La seule raison valable demeure en […]