Les songes du déserteur
Mercury Rev Deserter’s songs (1998, V2 Records)
L’aube commence à poindre, le ciel rougeoie sur l’horizon. Vous avez marché longtemps, l’ascension fut difficile mais la pente se fait maintenant plus douce à mesure que vous approchez du sommet. Le soleil illumine peu à peu les contours du monde, accompagnant les derniers hectomètres de votre progression. L’altitude a raréfié l’oxygène et vous ressentez une sorte d’euphorie, sans doute ce qu’on appelle l’ivresse des sommets. Puis, comme vous arrivez au but, la lumière éclabousse votre champ de vision, dévoilant dans sa gloire l’immensité magnifique du paysage… Voici, en quelques mots maladroits, l’impression ressentie à l’écoute de l’extraordinaire Holes qui ouvre le quatrième album de Mercury Rev. Il était d’ailleurs gonflé de placer en entame pareil monument, au risque que le reste du disque souffre de la comparaison, mais non, vous ne redescendrez au monde que quarante minutes plus tard.
Bands / Those funny little plans / That never work quite right
Holes
Les premiers pas de Mercury Rev furent pourtant bien tumultueux. Le groupe se fit d’abord connaître dans les milieux arty new-yorkais avec sa musique bruitiste et chaotique qui semblait refléter le désordre permanent qui agitait ses auteurs, entre folie pure et relations houleuses. Je n’avais pour ma part qu’une connaissance très limitée de Mercury Rev avant d’écouter ce Deserter’s songs, puisque je les avais seulement vu en concert en première partie de Pavement, et que mon seul souvenir était que le groupe jouait trop fort. On ne saura jamais quelle mouche a pu piquer Jonathan Donahue et sa bande, formidablement assistés par le producteur Dave Fridmann, pour émerger de leur cocon et en sortir transfiguré avec ce disque magnifique.
Tears in waves / Minds on fire / Nights alone by your side
Opus 40
Mercury Rev range les guitares saturées de ses précédents opus au placard et les remplace par des violons, des cuivres, une scie musicale, toute une orchestration avec laquelle il crée une atmosphère onirique d’une grande beauté. Tout l’album semble flotter dans une sorte d’éther, comme si Mercury Rev s’était hissé hors du monde, dans une zone frontière où la joie pure côtoie les abîmes de la détresse. La fragilité du chant de Jonathan Donahue surnage, phare fragile mais persistant, au milieu d’une musique qui alterne poussées de fièvre (la fantastique tempête de Funny bird) et rémissions (Endlessly) et au final, le groupe délivre une musique sans attaches, quelque chose comme le croisement entre Neil Young, le Pink Floyd des débuts, le Bowie circa 1971-1972 en plus fragile et les BO des films de Disney, sorte de folk symphonique mâtiné de blues, de pop et de country.
Standing in a dream / Weaving through the crowded streets / Leaving you again endlessly (Endlessly)
De l’envol iridescent du Holes introductif au country-blues tellurique de Delta sun bottleneck stomp en passant par la grâce fragile de Tonight it shows ou la perfection d’ Opus 40, Deserter’s songs réunit de quoi remplir vos jours et vos nuits de songes multicolores et déserter pour un moment les pesanteurs terrestres. Et si, comme le chante Donahue sur l’enivrant Goddess on a hiway, « it ain’t gonna last », ces chansons formidables laisseront sur vos cœurs comme une trace argentée, marque brillante de leur passage.
Gonna leave the city / Gonna hop a train tonight / Gotta one-way ticket / And the moon is shining bright / Gonna leave the city / Gonna catch the Hudson line / Cause you know I love the city / But I haven’t got the time
Hudson line
Curieusement, j’avoue n’avoir absolument pas suivi la suite de la carrière discographique de Mercury Rev, me contentant sans mal des richesses de ce Deserter’s songs. En fait, je viens juste de me mettre à l’écoute de son successeur, ce All is dream qui vole certes moins haut mais qui me semble quand même plutôt réussi. Aux dires de beaucoup, les dernières livraisons du groupe seraient beaucoup plus dispensables. Il faudra que je prenne le temps de vérifier tout cela à l’occasion.
2 réponses
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[…] Ben Goldwasser, assistés du remarquable Dave Fridmann à la production (aux manettes notamment du Deserter’s songs de Mercury Rev ou des deux derniers opus de Sparklehorse) , livrent ici un disque roboratif, […]