Drôle d’oiseau
Baby Bird Bad shave (1995, Chrysalis)
J’ai déjà évoqué dans ces pages ce drôle d’oiseau de Baby Bird pour son There’s something going on à la noirceur d’encre de 1998. Revenons aujourd’hui aux débuts discographiques du bonhomme avec cet excellent et remarqué Bad shave de 1995.
Derrière ce pseudonyme ornithologique se cache un extravagant énergumène anglais du nom de Stephen Jones. Membre d’une troupe d’ “anti-théâtre” (sic), Dogs in Honey, à la fin des années 1980, Stephen Jones se met à enregistrer au début des années 1990, chez lui, seul sur son 4-pistes et sans formation musicale, plus de 400 chansons. Il finit par faire paraître un premier album en 1995, I was born a man et, devant le succès critique, il pioche dans son imposant répertoire de quoi sortir à la file trois autres albums en moins d’un an, parmi lesquels ce Bad shave.
Oh, you said you’re a queen / But I looked under your dress / And you are a king
Oh my God you’re a king
Baby Bird fit donc sensation en 1995 avec la sortie à quelques mois d’intervalle de trois albums remplis jusqu’à la gueule de chansons de tout acabit, faisant allègrement les poches de toutes les familles du rock et de la pop, rappelant à l’époque un autre prolifique génie bricolo apparu quelques temps auparavant de l’autre-côté de l’Atlantique, Beck. On sait aujourd’hui que ces deux songwriters ont connu depuis un parcours bien différent, avec comme point commun quand même d’avoir atteint le zénith de leur créativité au mitan des années 1990.
I’m always happy / I’m never sad / The world’s a wonderful place and I’m glad / Because I’m / Too handsome to be homeless
Too handsome to be homeless
Près de vingt ans après, on est toujours surpris par le foisonnement régnant sur ce disque étonnant. Seul chez lui, Baby Bird réussit à composer des perles en remontrant à bien des groupes disposant de budgets d’enregistrement bien plus conséquents. Au four et au moulin, Stephen Jones livre un patchwork foutraque, alternant moments de grâce et brouillons, titres expérimentaux et tubes en puissance, mêlant pop, rock, psychédélisme et influences hip-hop dans son chaudron fumant. Cette mixture musicale détonante s’accompagne de textes barrés, absurdes et surréalistes, drôles et inquiétants à la fois. Et derrière l’humour et la fantaisie qui habitent les chansons de Baby Bird, on devine à plusieurs reprises démons et fêlures, comme un éclat de folie qui brillerait au fond de son regard ou déformerait son sourire en grimace.
You can tie me up in knots / But I’ll keep on coming / You can take away my voice / But I’ll keep on humming
45 & fat
Et c’est quand il tombe le masque que Baby Bird se fait le plus impressionnant. On retiendra ainsi le superbe et plombé Bad shave, menaçant comme l’orage qui couve ou le glacial WBT qui vient refroidir l’auditeur aux deux tiers de l’album. Baby Bird est aussi capable de pondre sans forcer une paire de classiques pop instantanés avec l’ironique et irrésistible Too handsome to be homeless (quelque part entre Beck et Money Mark) et le somptueux Shop girl. On accordera aussi une mention spéciale à la superbe ballade Oh my God you’re a king ou à la fort séduisante Valerie. Avec Stephen Jones, les déclarations d’amour prennent une étrange tournure et l’on se demande toujours qui a bien pu lui inspirer une phrase comme “I love you like a steam train”. Alors, c’est vrai, on trouve de tout sur ce disque, à boire et à manger. Du coup, on n’avale pas forcément tout d’une traite et certains titres nous poussent à faire la fine bouche (The restaurant is guilty, Bad jazz). On se réjouissait quand même à l’époque de tomber sur un véritable original, une tête brûlée bourrée de talent et capable de déjanter à tout moment. Le balancement morbide du terminal Swinging from tree to tree ne présageait ainsi pas vraiment de lendemains radieux.
Like a head without a brain / Like tracks without trains / I don’t need you
Bug in the breeze
Il me semble que l’évolution ultérieure de Baby Bird a confirmé ces impressions. Après Bad shave, Stephen Jones sortit dans la foulée l’excellent Fatherhood puis The happiest man alive (1996 – que je ne connais pas) avant de décrocher un contrat avec une major pour l’album Ugly beautiful, compilation de ses meilleurs titres des précédents albums sélectionnés par les fans (une carte postale était glissée à cette fin dans chacun des disques) et réenregistrés en studio. Baby Bird décrocha un tube avec You’re gorgeous puis disparut des écrans pendant deux ans pour refaire surface avec l’enténébré There’s something going on. La hype était passée et son Bugged de 2000 parut dans l’indifférence générale. Mis à la porte de son label, Stephen Jones se consacra alors à d’autres projets (d’écriture notamment) avant de refaire surface en 2006 avec Between my ears there’s nothing but music. Deux autres albums sont parus encore depuis avant que Jones n’annonce la fin définitive de l’aventure Baby Bird et le début d’un nouveau projet, Black Reindeer.
2 réponses
[…] peu dans le désordre, en commençant par aborder son There’s something going on de 1998 puis Bad shave (1995) ; je m’aperçois que je renoue ce soir le fil de sa discographie puisque […]
[…] au crâne fracassé et sanguinolent représenté sur la pochette rappelle la pochette tordue de Bad shave mais c’est bien ainsi, tout fracassé que nous apparaît Baby Bird. Une chape de plomb semble […]