Trash palace
Benjamin Biolay Trash yéyé (2007, Virgin)
Alors que vient de paraître son nouvel opus, Vengeance, auquel je n’ai pour l’heure accordé qu’une écoute distraite, permettez-moi de revenir aujourd’hui sur ce qui reste pour moi le grand œuvre de Benjamin Biolay, ce Trash yéyé époustouflant de 2007. A l’époque, Biolay n’est pas encore l’auteur-compositeur plébiscité de La Superbe, qui a su rassembler sur son nom les suffrages conjoints des critiques et du public. A vrai dire, les chiffres de vente du bonhomme s’érodent constamment depuis son Rose Kennedy inaugural et, si une partie de la critique loue déjà ses talents rares de songwriter, beaucoup ne voient en lui qu’un bobo snobinard un brin provocateur, surtout connu pour ses histoires amoureuses. Trash yéyé allait démontrer de façon éclatante que les méchantes langues auraient du davantage user de leurs oreilles.
Qu’est-ce que ça peut faire / Que je te vois le ventre à l’air / Ou les yeux cernés / Qu’est-ce que ça peut foutre / Qu’est-ce que ça peut faire / Puisqu’au bout de la route / Il n’y a qu’un désert
Qu’est-ce que ça peut faire
Biolay a souvent expliqué que Trash yéyé constituait à ses yeux le tome deux de son prédécesseur, cet A l’origine qui marquait déjà un virage important dans le parcours du bonhomme. S’il existe indéniablement une forme de continuité entre les deux albums – notamment dans les thèmes abordés -, tout brille ici d’une lumière plus noire et plus intense que sur A l’origine. Avec une dextérité stupéfiante, Biolay navigue entre ses influences hétéroclites (du hip-hop US à l’indie-pop en passant par les grandes orgues gainsbouriennes) pour tailler dans le vif des douleurs amoureuses, « découpant le monde à coup de rasoir pour voir au cœur du fruit le noyau noir » comme le chantait Manset. De cette noirceur affichée, qui ne masque rien des coups bas et des vices cachés qui mènent à la déréliction des liens du cœur, se dégage pourtant une lumière éblouissante, osera-t-on dire quelque chose comme de la grâce.
Rhabillez-vous / Rejoignez votre époux / Aux baisers aigres-doux / C’est pas la peine de faire comme si c’était bien
La garçonnière
Biolay place d’emblée la barre très haut avec cet inestimable Bien avant introductif, peut-être sa plus belle chanson, un de ces moments d’élévation où chaque note semble tomber à sa juste place, chaque nouvel instrument (guitare, clavecin…) résonner comme il se doit avec l’ensemble. Le risque était grand après un tel début de faire du disque une pente descendante mais Biolay relève le gant avec brio. De la mélodie gonflée de souffle mariachi de Dans la Merco Benz à la nuit pluvieuse de La chambre d’amis, de la moiteur décadente de La garçonnière (bouleversant) à la démarche chaloupée de ce Cactus concerto qu’une bordée de chœurs droit sortis de chez Morricone (qu’on retrouvera d’ailleurs sur plusieurs titres du disque) vient faire décoller à la verticale, Biolay aligne les prises de risques et les réussites. En fin d’album, l’exceptionnel Laisse aboyer les chiens solde tous les comptes dans une envolée de cordes pour ouvrir comme une trouée de bleu dans un ciel d’encre. Tout est brûlé, il est temps de quitter la place, en emportant De beaux souvenirs et une marque indélébile au creux de l’âme.
On prendra la vie comme on veut / On priera le ciel s’il nous rend mieux / On s’en mettra plein la panse
Laisse aboyer les chiens
Zénith artistique de son auteur, Trash yéyé en sera à l’opposé le nadir commercial. Il brille pourtant à mes yeux d’un éclat encore supérieur au célébré La Superbe, disque remarquable aussi mais moins touchant, moins cramé. Et c’est bien cet album que je recommanderais aux contempteurs ou aux réticents à l’œuvre du bonhomme, tant il vaut mieux que tous les préjugés ou les impressions que celui-ci laisse parfois sciemment dans ses déclarations ou apparitions publiques.
Trash Yéyé for ever.