Un souffle d’air frais
Buck Meek Two saviors (2021, Keeled Scales)
Alors qu’approche l’heure des traditionnels bilans de fin d’année, permettez-moi ce soir d’attirer l’attention – à ma modeste échelle – sur ce formidable Two saviors du Texan Buck Meek, paru au tout début de 2021 et qui n’a cessé d’éclairer les mois écoulés de sa douce mélancolie et de sa musicalité chaleureuse. “Accueillant”, c’est en fait le premier mot qui me vient à l’esprit à chaque écoute des onze titres sans faute de goût qui composent ce disque remarquable. Naviguant entre folk, rock et country, Buck Meek livre ici un album d’une subtilité renversante, jouant à hauteur d’homme des chansons rêveuses et aériennes mais pourtant toujours fermement ancrées dans le sol.
Well, did your eyes change ? I remember them blue / Or were they always hazel ? / Still the same face with a line or two / The same love I always knew
Candle
Les amateurs et amatrices de pop-rock auront sans doute identifié en Buck Meek le guitariste d’un des groupes les plus marquants apparus ces dernières années : Big Thief. Comparse, frère d’âme, un temps mari d’Adrianne Lenker, la figure de proue du combo de Brooklyn, Buck Meek – à l’instar de sa désormais ex-épouse – s’est rapidement autorisé à mener ses propres expériences en solo, à l’écart du vaisseau amiral Big Thief. Le bonhomme fit ainsi paraître un premier LP éponyme en 2018 déjà très réussi, un peu avant que l’aura de son groupe ne commence à prendre de l’ampleur. Il faudra la crise sanitaire de 2020 pour que le Texan (il est originaire de Houston) ne trouve l’envie d’un autre pas de côté, avouant aller chercher dans l’enregistrement de ces chansons une forme de guérison dans un période difficile. Il ne faudra que sept jours au sieur Meek pour donner corps aux morceaux de Two saviors, avec comme ligne directrice de se contenter pour chaque titre de la première prise, manière de se mettre en danger autant que d’aller chercher la beauté brute dans l’immédiateté du direct.
Oh no, my swimming hole is full of turpentine / It’s raining mud from a bad sky / I can help to clean this up, but I don’t think I’m qualified / We need to find someone who can purify
Second sight
Le résultat est en tout cas une réussite totale. Avec Two saviors, Buck Meek accomplit un disque aussi consolant que captivant. Émanent de ces chansons une lumière constante et constamment changeante, mille nuances colorées vibrant sous le souffle du vent. Two saviors raconte l’apaisement, de celui qu’on finit par trouver après avoir traversé le tumulte, et fait partie de ces disques qui nous font croire aux vertus de la résilience par la grâce des beautés qu’il renferme. Musicalement, les chansons mêlent teintes country et influences folk, rehaussées de ci de-là de poussées électriques qui viennent à l’occasion dérégler leur gracieuse mécanique. Les textes, subtilement décalés, ajoutent une touche d’étrangeté à l’ensemble, mêlant humour sibyllin et mélancolie légère.
Save me half of that sandwich Annie / I haven’t eaten since 1995 / It’s a miracle I’m alive / Please spare my life with ham on white tonight
Ham on white
Le disque s’ouvre sur une flânerie accorte, avec ce Pareidolia qui nous invite à nous allonger dans l’herbe pour regarder passer les nuages et y trouver les formes que l’on voudra bien imaginer. Avec ses claviers sur coussin d’air et le chant indécis et pourtant bien présent de Buck Meek, le morceau glisse comme la brise, faisant simplement vibrer nos cordes sensibles avec l’air de ne pas y toucher. Ce petit miracle est renouvelé à moult occasions le long des dix morceaux suivants. On s’inclinera ainsi devant la fragilité soufflante du merveilleux Candle (ah, cette guitare steel) ou d’un Two moons tout de pureté acoustique, et exemple trop rare d’une musique incroyablement accueillante. Buck Meek ne manque pas de s’offrir quelques embardées bienvenues le temps de quelques morceaux plus enlevés qui viennent encore enrichir la palette de l’ensemble. On retiendra ainsi ce Second sight cavaleur, ce Ham on white tournicotant comme un Pavement qui aurait été élevé à la ferme. On s’attardera surtout sur ce Cannonball ! – part 2 dylanien en diable, chanson fabuleuse évoquant quelque chose comme The Band reprenant le meilleur de Sparklehorse. L’album se termine avec un Halo light évanescent, qui passe là encore comme un papillon frôlant notre joue et allant disparaître dans la lumière du soir. C’est beau, ça ne dure qu’un instant mais cet instant nous marquera durablement.
All the ways that she laughed / Made me want to make her laugh / Knock knock, no one’s home / I saw the dog of a drifter out on the sidewalk yesterday
Cannonball ! – pt.2
On espérera que Buck Meek continuera à se – et à nous – offrir d’aussi aériens pas de côté. Et en attendant, il serait vraiment temps d’aller me frotter pleinement aux disques de Big Thief.