Le manifeste de la Convention
Fairport Convention What we did on our holidays ? (1969, Water Music Records)
Fairport Convention se forme à Londres en 1967. Vivant en communauté, les six membres du groupe (Ashley Hutchings, Ian Matthews, Martin Lamble, Simon Nicol, Richard Thompson et la chanteuse Judy Dyble) ambitionnent d’abord simplement de s’inspirer du folk-rock des groupes West Coast américains alors au sommet, Byrds en tête. Pris en charge par le producteur Joe Boyd (Pink Floyd, Nick Drake…), le groupe enregistre un premier album éponyme en 1968, essentiellement constitué de reprises de figures alors émergentes de la scène folk-rock américaine, de Leonard Cohen à Joni Mitchell. Avec l’arrivée de la chanteuse Sandy Denny en lieu et place de Judy Dyble, Fairport Convention va peu à peu affirmer son identité et gagner en originalité.
Le groupe entreprend de jouer un folk-rock résolument britannique, remontant à la tradition du folklore anglais pour le plonger dans un bain de modernité, à l’instar là encore de ses “correspondants” américains, de Bob Dylan aux Byrds. Deuxième album de Fairport Convention, ce What we did on our holidays ? constitue dans les faits le premier manifeste des nouveaux choix esthétiques du groupe. Celui-ci dispose en sus d’atouts de premier plan pour s’élever au-dessus de la mêlée : un songwriter d’exception doublé d’un guitariste hors du commun (Richard Thompson), une chanteuse brillante à la personnalité affirmée (Sandy Denny) et quatre autres musiciens doués et polyvalents, loin d’être de simples faire-valoir mais apportant chacun sa pierre à l’édifice.
L’album s’ouvre par le captivant Fotheringay sur lequel Sandy Denny plonge d’emblée l’auditeur dans une atmosphère quasi médiévale : la princesse est retenue prisonnière dans la tour, elle regarde au loin à travers un paysage de brume, demain elle sera loin… Cette influence marquée du folklore britannique se retrouve sur une bonne moitié des morceaux, de l’entraînant No man’s land à l’imposant Nottamun town. Fairport Convention ne se contente cependant pas de décliner la même recette le long de ces douze chansons. Le groupe se fend ainsi d’un roboratif rhythm and blues avec l’excellent Mr Lacey et continue également de payer son tribut à ses pairs d’outre-Atlantique en jouant des reprises de quelques contemporains de haute volée. Outre une jolie version du I’ll keep it with mine de Dylan (qui pâtit malheureusement pour elle de la comparaison avec la version intouchable proposée par Nico sur l’inégalable Chelsea girl), on retiendra surtout ce formidable et scintillant Eastern rain emprunté à Joni Mitchell et auquel le groupe confère un éclat magnifique. Globalement, What we did on our holidays ? offre donc un bel équilibre entre compositions originales, reprises pertinentes et touche “traditionnelle”… A mon sens cependant, l’album demeure encore un peu “vert” et présente un groupe encore en train de construire son expression. Les compositions de Richard Thompson commencent à surnager mais le côté excessivement vaporeux de certains titres (comme habillant des troubadours d’un voile de mousseline) me gêne un peu. Fairport Convention haussera le niveau d’un cran ou deux avec ses deux albums suivants (tous deux parus cette même année 1969), Unhalfbricking et Liege and lief.
Entre drames et départs successifs de ses différents membres, le Fairport Convention originel se délitera progressivement au fil des ans. Il continuera cependant d’exister en filigrane des années durant, au gré des reformations temporaires et d’incessants changements de personnels. L’influence du groupe sera très importante, aussi bien du côté d’un revival celtique que j’ignore pour le coup absolument (Alan Stivell et autres) que sur toute une scène rock britannique, des Waterboys jusqu’au dernier album en date de la fantastique PJ Harvey. Fairport Convention aura en outre permis de révéler au monde le génie de Richard Thompson, dont on n’a pas fini de chanter les louanges.